Gaylord Robert, casquette de baseball vissée sur la tête, savoure un café latte avant de prendre son service, en vrai New-Yorkais. Depuis quelques mois, le Français officie comme sommelier chez Bouley, le restaurant gastronomique de TriBeCa.
Bien loin de la Touraine où il a grandi. Bien loin de la Rochelle et de Paris où il a tout appris. “J’arrivais au bout d’un cycle, je ne voulais pas me réveiller à 65 ans et me dire que j’étais passé à côté de quelque chose“, confie l’ancien sommelier en chef de l’Arpège, trois étoiles au Michelin. “A l’Arpège où j’ai passé sept ans, c’était acquis, j’allais dans des structures de vin qui étaient en connivence réelle avec la cuisine du chef. Ça roulait“.
Mais à 35 ans, Gaylord Robert voulait de l’action, sortir de sa zone de confort. Un constat qu’il a fait après les attentats de novembre 2015. “J’étais abasourdi, je ne pouvais pas y croire. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai réfléchi à ma vie et je me suis dit que c’était le moment de vivre autre chose, ailleurs.”
Quelques semaines plus tard, Adrien Falcon, le sommelier en chef de Bouley à New York, l’appelle et lui propose un poste. Gaylord Robert y voit l’occasion de se mettre en danger professionnellement et de se rapprocher de son sport fétiche: le baseball. “J’ai commencé à Châtellerault en 6e grâce à un ami, explique-t-il. J’adore ce sport, il y a un formidable esprit d’équipe mais qui laisse place à l’action individuelle“. Son équipe préférée: “les Yankees de New York bien sûr!” s’exclame-t-il, avant de raconter avec enthousiasme le dernier match de Derek Jeter dont il est fan.
Baseball et vin, deux passions finalement pas si éloignées pour le sommelier qui avoue s’inspirer du sport au quotidien. “Je dirige mes équipes comme au baseball: attaques, rotations, en respectant chaque personnalité parce que les postes ne sont pas interchangeables“.
A New York, Gaylord Robert apprend tous les jours comme il l’imaginait. Notamment sur les vins américains: “Je connaissais certains de leurs grands vins mais il y en a beaucoup qui ne s’exportent pas et qu’on trouve seulement ici“. Et il y a des révélations, confie l’amoureux des vins de la Loire. Gaylord Robert fait défiler les photos de son téléphone, toutes consacrées à ses découvertes, avant de trouver enfin le flacon en question: un Piedrasassi de la Napa Valley, 100 % syrah. “Pour moi, le vin, c’est la culture, la diversité, la curiosité. On ne peut pas être snob vis-à-vis des régions de vin. Ici, on trouve de belles choses, de belles promesses de terroir et des professionnels qui ont une culture du vignoble“.
La passion de Gaylord Robert pour le vin a commencé chez lui à Montlouis-sur-Loire, auprès d’un grand-père qui l’a initié dès l’enfance. “Il m’a permis de goûter, d’avoir un palais”, se souvient le sommelier, très attaché à ses racines.
Au cours de sa carrière à l’Arpège et avant ça au Bristol, au Chamarre ou chez Coutanceau à La Rochelle, Gaylord Robert a appris à entretenir et enrichir les caves. “Aux Etats-Unis, ça va beaucoup plus vite, explique-t-il. On est très sollicité, il faut se décider tout de suite car les volumes sont moins importants qu’en France“. Autre différence : les intermédiaires. “Il y a des importateurs, des distributeurs qui sont incontournables. Mais ça augmente aussi les prix et il faut faire très attention à ça“.
Chez Bouley, la cave est impressionnante: entre 4.500 et 5.000 bouteilles des meilleurs vins du monde. Entre son travail au restaurant, ses amis et les matches du week-end au Yankee Stadium, Gaylord Robert ne s’ennuie pas dans son pays d’adoption auquel, rappelle-t-il, la vigne française doit sa survie. “A la fin du XIXe siècle, les vignes françaises ont été décimées par le phylloxera, un puceron destructeur. Ce sont les Américains qui les ont sauvées en envoyant des pieds immunisés qui ont été greffés aux plants français“.