“Il y a quelques années, jamais je n’aurais accepté de recevoir ce trophée; je n’aurais pas compris pourquoi… Ce soir, je ne comprends toujours pas pourquoi, mais j’accepte de jouer le jeu”. New York a changé Charlotte Gainsbourg, au point d’accepter les règles du monde très doré des charity galas new-yorkais.
L’actrice et chanteuse était l’invitée d’honneur lundi soir du gala du French Institute Alliance Française (FIAF), venue y recevoir le Trophée des Arts, devant un parterre de rich and beautiful, au côté de Dominique Sénéquier, discrète mais puissante patronne de la société d’investissement Ardian.
Au fil des années, le gala du FIAF s’est installé parmi les évènements glamours de la communauté française et francophile. Les règles sont immuables et la participation de la timide Charlotte Gainsbourg n’y a rien changé. On vient sous les ors de l’hôtel Plaza dépenser de l’argent pour financer les programmes éducatifs et culturels de l’institution. En quelques dizaines de minutes d’enchères menées au pas de course, le commissaire-priseur Rachel Orkin-Ramey fait voler les dollars. Une semaine à St-Barth part pour 28.000 dollars, un voyage à Paris pour 12.000 dollars, des boucles d’oreille d’une marque de luxe française pour 16.000… “C’est devenu vulgaire cette marque”, me souffle à l’oreille ma voisine de table… avant de se rendre compte qu’elle a accroché au dossier de son siège un sac de la même marque. Eclats de rire, on peut faire le bien et garder le sens de l’humour.
Mais il y avait bien une nouveauté cette année: seules des femmes ont été invitées à monter sur scène -à l’exception du président du conseil d’administration du FIAF, le milliardaire, promoteur immobilier et producteur de cinéma Charles Cohen. Après lui, la soirée fut entièrement féminine et “il était temps qu’on reconnaisse enfin des femmes fortes et talentueuses” lançait Marie-Monique Steckel, la présidente de l’institution. Car si le FIAF est dirigé depuis 15 ans par une femme, et compte plus de 60% de femmes parmi ses membres, jamais le gala n’avait honoré deux femmes en même temps.
Il était temps, donc, de reconnaître notamment le talent de Dominique Sénéquier, inconnue du grand public mais star du monde de la finance. Elle fut parmi les 7 femmes admises pour la première fois à l’école Polytechnique en 1972 puis a fait une brillante carrière en France. En 2013, elle orchestre le rachat par les salariés d’Ardian, qu’elle avait fondé et dirigeait jusqu’alors pour le compte d’Axa. Elle en a fait depuis un des poids lourds d’un secteur qui encore aujourd’hui laisse à peine plus de place aux femmes que Polytechnique il y a 40 ans: seulement 2,6% des firmes américaines de “private equity” sont dirigées par des femmes.
Basée à New York, ce pur produit de l’élite à la française a, en recevant son trophée, fait l’éloge de l’esprit d’entreprise anglo-saxon, dont elle a fait la découverte dans les années 1970 à New York, alors stagiaire pour le compte du ministère de l’Economie, avant de s’y installer des années plus tard pour y développer son entreprise. “Chez Ardian aussi, nous voulons allier le meilleur de New York et le meilleur de la France, a-t-elle déclaré en recevant son trophée, insistant notamment sur “l’intéressement gaulliste versé à chaque employé d’Ardian partout dans le monde”.
L’autre héroïne du jour est au moins aussi discrète, mais certainement pas inconnue. En lui remettant le Trophée des Arts, la Consule Générale de France à New York Anne-Claire Legendre a noté qu’elle avait comme tant d’autres Français du même âge, “grandi avec Charlotte Gainsbourg, copiant jusqu’à sa frange”. Sans qu’on sache vraiment si c’est New York qui l’a changée, ou simplement le fait de s’exprimer en anglais qui donne à sa voix une assurance qu’on ne lui connaît pas, l’actrice est allée jusqu’à -presque- se confier devant les quelque 500 invités du gala. “Je suis arrivée à New York il y a 5 ans fuyant une tragédie familiale (le décès de sa soeur Kate Barry en 2013, NDLR), a-t-elle dit pour expliquer son plaisir de recevoir cet honneur à New York où dit-elle, “elle peut s’exprimer autrement”.
Ces derniers mois, elle a souvent raconté dans la presse cet effet libérateur de sa vie new-yorkaise, sans lequel elle assure qu’elle n’aurait jamais osé écrire elle-même son dernier album, sorti en 2017. Ici, si on la reconnait dans la rue, c’est comme Charlotte, pas fille de… et c’est cette force tirée de l’exil qui ce soir a propulsé sur scène une rayonnante artiste.