Charles Gorra est le CEO et fondateur de Rebag, un site et des boutiques spécialisés dans la revente d’accessoires de luxe aux États-Unis. L’entreprise, forte de 150 salariés dont seulement deux français, gère un inventaire d’environ 20 000 accessoires de luxe depuis son entrepôt de Brooklyn, et fait environ 200 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel. Retour sur une belle aventure entrepreneuriale qui souffle cette année ses dix bougies.
Charles Gorra passe son enfance à Monaco, avant de monter à Paris pour ses études supérieures. Lorsqu’il sort d’HEC en 2007, il hésite, comme beaucoup de ses camarades, entre le conseil ou la finance, donc loin du commerce et des start-ups. Ce sera la finance : M&A chez Goldman Sachs à Paris et à Londres, puis private equity chez TPG à Londres. Dans l’entreprise américaine, les MBA sont légion, et en 2012 il met en pause sa carrière de banquier d’affaires pour suivre, pendant deux ans à plein temps, le MBA de la Harvard Business School (HBS).
« C’est l’époque où l’on voit émerger une nouvelle forme de plateformes digitales comme Uber ou Airbnb. Grâce au réseau de HBS, je rencontre les fondatrices de Rent the Runway, et j’y fais un stage d’été non rémunéré », raconte Charles Gorra. En pleine croissance, Rent the Runway propose de louer des vêtements de luxe pour des mariages et évènements. Aux côtés des deux fondatrices, il constate l’engouement pour ce nouveau modèle, mais il en découvre aussi les limites. « La location de vêtements est un modèle très complexe. Rent the Runway opérait à l’époque le plus grand dry cleaner de tous les Etats-Unis ! ». Il décide alors de se lancer à son tour dans une aventure entrepreneuriale, mais en privilégiant la vente à la location. Pour son projet personnel de deuxième année de HBS, il construit le prototype d’un site de revente d’accessoires d’occasion et s’essaie a une campagne de marketing digital. Rebag est né.
Toujours grâce au réseau de HBS (« 80% du bénéfice d’un MBA c’est l’écosystème, le réseau »), il rencontre alors Fabrice Grinda, un business angel fortuné avec une prédilection pour les places de marché digitales. « Nous avons tout de suite accroché, et avec le soutien de Fabrice, je lance Rebag, un site de revente de sacs de luxe et ultraluxe aux États-Unis ». Les sacs présentent de nombreux avantages comparés aux robes de mariage : ce sont des articles à forte valeur ajoutée, sans taille, dont les styles changent peu et où le vintage a une vraie valeur, faciles à transporter. Aujourd’hui, Rebag vend également des bijoux et des montres d’occasion – uniquement des produits de luxe, avec des paniers moyens à 2 000$, cinq à six fois plus élevés que ceux de ses concurrents.
Le business model de Rebag consiste à racheter des produits de seconde main pour les revendre ensuite. Il diffère du modèle de ses concurrents : Vestiaire Collective, Vinted, Poshmark ou Depop jouent seulement le rôle d’intermédiaire et laissent les consommateurs acheter à d’autres consommateurs – Real Real, quant à lui, fonctionne en mode dépôt-vente. Le business model de Rebag est intense et fortement capitalistique. Rebag a levé 100 millions de dollars à ce jour, et entend être profitable cette année.
Charles Gorra et son équipe ont développé, il y a 6 ans, un outil d’intelligence artificielle qui utilise la reconnaissance d’image pour mettre un prix sur chaque pièce. « Le temps de nos clients est précieux, le processus de revente doit être le plus simple et le plus rapide possible ». En plus de son site internet, Rebag opère quatre boutiques où les clients peuvent acheter ou vendre. « Nous avons eu jusqu’à dix magasins aux États-Unis, car nos clients aiment voir les produits. Mais les boutiques coûtent très cher, surtout quand on veut une location de choix, et l’aspect humain est un véritable casse-tête. Sans compter les problèmes de sécurité, de vol… » Aujourd’hui, Rebag cherche à établir une présence chez des tierces parties, grands magasins ou marques de luxe.
Des discussions sont en cours mais pour l’instant les grandes marques de mode restent réticentes malgré une pression grandissante en faveur de l’économie circulaire. Là où tous les grands fabricants d’électronique et concessionnaires automobiles offrent depuis plusieurs années des programmes de seconde main, la mode traîne les pieds. Quelques marques ont pris les devants – Lululemon, Patagonia ou Valentino revendent eux-mêmes leurs articles de seconde main – tandis que Gucci s’est alliée à Vestiaire Collective, et Stella McCartney à Real Real. Côté montres, Rolex est la première grande marque de luxe à lancer son programme de deuxième main.
Présent exclusivement aux États-Unis, Rebag ne nourrit pas aujourd’hui d’ambition internationale. « Le marché américain est tellement gros que la prochaine centaine de millions de revenus sera plus facile à obtenir aux États-Unis qu’à l’international », estime Charles Gorra. Dans un marché en croissance, boosté par la prise de conscience écologique, la concurrence reste sévère et les marges maigres – reste à voir quand et comment les grandes marques de luxe s’empareront du sujet seconde main.