Harold Moore le sait bien: ce sont les clients qui font le menu et non le chef. Dans son nouveau bistrot français Pierre Lapin (inspiré du personnage de “Peter Rabbit”) dans le West Village, cette règle a donné quelques surprises. “J’ai retiré le croque-madame du menu car personne n’en commandait, indique le chef américain. Par contre, les oeufs en gelée et les oreilles de cochon marchent bien. Ça nous encourage à aller encore plus loin.”
Dans une ville où les nouveaux restaurants cherchent sans cesse à repousser les limites de la cuisine, Pierre Lapin fait figure d’exception. Ici, on ne “cherche pas à réinventer la roue“, souligne l’associée et fiancée d’Harold Moore, Julia Grossman, mais à réhabiliter les grands classiques comme on en trouve dans les bistrots français. Aux côtés des oeufs en gelée, on trouve ainsi des escargots, des cuisses de grenouille, une blanquette de veau et des coquilles Saint-Jacques. “La cuisine à New York est allée tellement loin ces dernières années que les clients veulent retrouver les classiques qui ont défié le temps”, estime la patronne.
“Dans des restaurants haut-de-gamme, quand personne ne sait ce que vous faites, on peut raconter n’importe quoi au client sur les plats. Mais quand on travaille sur des classiques, c’est plus exigeant. Les clients ont des attentes“, ajoute Harold Moore.
Ce n’est pas la première fois que le jeune chef originaire du New Jersey se frotte à la cuisine française. Après s’être formé à “la cuisine italienne white trash” avec “spaghettis- boulettes de viande-sauce tomate” et un passage par l’école culinaire, il entre en 1994 chez Daniel, le restaurant de Daniel Boulud. Là, il côtoie des stars en devenir comme le chef pâtissier François Payard et l’Américian Mike Anthony. “Daniel venait d’ouvrir. La cuisine débordait de talents. Les opportunités d’apprendre étaient sans limites“, se souvient-il.
Il apporte la “discipline” et la “précision” apprises à l’école Boulud dans les autres restaurants où il part travailler: un an chez Jean-Georges, plusieurs expériences de commis en France chez Taillevent et l’Arpège notamment, puis comme chef exécutif du fameux restaurant français Montrachet à New York… Après cette dernière expérience, où le jeune homme de 27 ans se fait remarquer par la critique, il décide d’abandonner la cuisine française. “Le marché se réduisait dans les hautes sphères de la cuisine. Gordon Ramsay et Alain Ducasse étaient venus à New York et avaient souffert. Ils se battaient tous pour la même clientèle“.
Pari gagnant: il décroche une étoile au Michelin au côté du chef Wayne Nish chez March en servant de la nourriture américaine sophistiquée. En 2008, il ouvre son premier restaurant, Commerce, et en 2016, il inaugure Harold’s Meat + Three, une adresse connue des amateurs de plats du sud des Etats-Unis.
Avec Pierre Lapin, le francophile fait son retour dans l’univers de la cuisine française. “Les bistrots décontractés manquent à New York. Ils sont tous influencés par le modèle de Balthazar (le restaurant de Keith McNally, vu comme la référence des bistrots français à New York). Or cela n’a rien à voir avec les bistrots traditionnels. On ne voulait pas d’un lieu avec du carrelage au mur et des banquettes de cuir“, justifie-t-il. Pour accentuer le côté traditionnel, le couple a recouvert les murs d’un papier peint fleuri qui évoque “la maison de grand-mère” et rempli le restaurants d’objets trouvés sur les marchés aux puces en France.
Sur des miroirs derrière le bar, sont griffonnés les plats du jour: “oreilles de cochon”, “cuisses de grenouille”, “rognons de veau à la moutarde” ou encore “poitrine de canard à la cerise”. “Il y a des clients qui pensent que ça va être bizarre, admet Julia Grossman, mais quand ils se rendent compte que la qualité est au rendez-vous, ils sont rassurés“.