Depuis son bureau au 40e étage d’une tour du centre de Jakarta, Bertrand Lortholary l’ambassadeur pouvait contempler le cœur de la bouillonnante capitale indonésienne. Le consul à New York, lui, voit la mythique 5th Avenue et les arbres qui bordent Central Park. Changement de paysage.
Depuis son entrée en fonction, fin août, à 43 ans, le remplaçant de Philippe Lalliot rentre progressivement dans le rythme diplomatique. Il enchaîne les rencontres avec les membres de la communauté, accueille différentes manifestations dans les locaux feutrés du 934 Fifth Avenue et prépare la venue, mi-septembre, de François Hollande dans le cadre de l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a déjà « le nez dans le guidon », dit-il, dans un environnement – New York – qu’il apprend à connaitre. « Nous nous y sommes rendus à plusieurs reprises avec ma famille pour rendre visite à des amis. La ville m’est familière autant qu’une ville où l’on a pris le temps de se promener, sans y vivre. Je suis profondément heureux d’y être. »
Jusqu’alors, le terrain de jeu américain de Bertrand Lortholary, c’était plutôt Washington DC. Diplômé des « Langues O », de Sciences po et l’ENA (promotion de 1997), il gagne ses galons diplomatiques en 2001 comme diplomate d’échange au bureau des affaires africaines du Département d’Etat américain. Il rejoint ensuite l’Ambassade de France auprès des ambassadeurs François Bujon de l’Estang puis Jean-David Levitte. « J’ai eu de la chance de pouvoir travailler avec des patrons de premier plan aux Etats-Unis ». Cette période marque le diplomate. « Je suis arrivé le 7 septembre 2001. J’aurais dû rentrer en fonction au Département d’Etat le 11 septembre. Cela n’a pas eu lieu. Au moment du 11-Septembre, j’ai ressenti une immense émotion qui était évidemment celle des Etats-Unis et je l’ai partagée car tout mon environnement était américain », se souvient-il.
Son séjour américain dure quatre ans. Puis, lui et sa famille (il a trois enfants, dont un né aux Etats-Unis) prennent la direction de Pékin. Bertrand Lortholary travaille à l’Ambassade de France et entame sa deuxième vie diplomatique. Une période qui le rapprochera de l’Elysée et de son locataire de l’époque, Nicolas Sarkozy. En 2008 et pendant quatre ans, il est le conseiller du président pour les affaires asiatiques et océaniques. C’est également Nicolas Sarkozy qui, en février 2012, le nomme Ambassadeur de France à Jakarta. La mesure est annulée en juillet par le Conseil d’Etat, qu’avait saisi la CFDT, car M. Lortholary ne pouvait pas « justifier des responsabilités dans l’encadrement », comme l’exige un décret de 2009 pour occuper le poste. Il ne fut pas le seul diplomate dans ce cas: Damien Loras, autre membre de la cellule diplomatique de l’Elysée, bombardé Ambassadeur en Thaïlande, n’a pu partir. M. Lortholary est lui déjà en poste à Jakarta, mais il doit rentrer. Le départ de Philippe Lalliot lui donne une solution de repli dans un poste prestigieux. «Je regrette de ne pas avoir pu aller au bout de ma mission à Jakarta, mais je n’en garde aucune amertume (…). J’ai une chance inouïe de débuter cette mission à New York ».
Son passage à l’Elysée lui colle inévitablement une étiquette “sarkozyste”. Ce à quoi le tout frais Consul répond en classique serviteur de l’Etat: «Je suis un fonctionnaire. Un fonctionnaire peut avoir des opinions personnelles mais il a avant tout une mission. Quand on est appelé à travailler au côté du président de la république, c’est une chance. Je n’ai aucune étiquette politique ».
Plusieurs dossiers attendent le nouveau consul. Le premier d’entre eux : l’aide aux familles affectées par la suppression de la Prise en Charge (PEC), rendue effective pendant l’été. Une mesure que certains parents et chefs d’établissements ont jugé trop abrupte. Il est difficile d’évaluer le nombre de familles impactées par la fin de la PEC avant l’examen des dossiers de demandes de bourses par les commissions locales en octobre. « C’est un sujet en cours. La prise en charge était générale, les bourses sont sur mesure. Il faudra examiner au cas par cas comment les choses se passeront pour les familles », indique M. Lortholary. Autre dossier : la réduction des coûts d’opérations consulaires en temps de restrictions budgétaires. « La logique de faire des économies est permanente et pariculièrement forte aujourd’hui. Chaque service de l’Etat, ou qu’il soit, est invité – c’est un euphémisme – à en faire », sourit-il. Enfin et surtout, la « diplomatie économique ». M. Lortholary considère que la promotion des intérêts économiques français dans sa circonscription, qui comprend New York, le New Jersey, le Connecticut et les Bermudes, est « sans aucune ambiguïté, une priorité ». Et s’il veut se changer les idées, il pourra toujours tourner la tête vers Central Park.
Propos recueillis par Emmanuel Saint-Martin et Alexis Buisson