Il est entré dans le club très fermé des milliardaires de la Silicon Valley, mais on aura bien du mal à trouver chez lui les traces du mégalo en hoodie rêvant de conquérir le monde. A l’entendre, Benoit Dageville, ne se rêvait pas entrepreneur. Cet ingénieur pur jus, né à Antibes, formé à Jussieu, n’aurait eu, dit-il, pour mérite que “de ne pas rater le coche”.
Le voilà pourtant à la tête de la success story tech de l’année: Snowflake, l’entreprise qu’il a créée en 2014 avec Thierry Cruanes, un autre Français, et Marcin Zukowski, est entrée en bourse avec fracas en septembre et affiche une valorisation de 70 milliards de dollars – assez donc pour faire de Benoit Dageville, qui possède 3,5% de la société, un multimilliardaire, en tout cas sur le papier.
Tout jeune ingénieur, Benoit Dageville s’est découvert une passion: les bases de données. Loin de la Silicon valley, il commence sa carrière grâce à un programme européen de soutien à la recherche informatique et se retrouve chez Bull qui, au début des années 1990, n’est plus que le fantôme du géant de l’informatique jadis rêvé par les dirigeants français. Très vite, les ambitions sont revues à la baisse, le centre de recherche ferme et Benoît Dageville part à Grenoble, où il fait de l’ingénierie pour Bull. Mais il n’a aucune envie de devenir chef et, en France, ce manque d’ambition managériale lui offre peu de perspectives. Le salut viendra d’une mission de quelques mois pour Oracle, en Californie.
« Notre but n’était pas de créer une entreprise »
Là, Benoît Dageville découvre un cadre de travail rêvé : un environnement multiculturel et la possibilité de développer son expertise high-tech au plus haut niveau. Il passe 16 ans très riches, à évoluer au cœur d’une des plus grosses bases de données au monde. Mais au tournant des années 2010, il se rend compte du potentiel de disruption du cloud, les quantités astronomiques de données générées par l’essor d’Internet, et leur gestion en temps réel par des machines. Oracle est en train de rater ce virage, et Benoît Dageville décide de s’associer avec Thierry Cruanes, son collègue normand, pour lancer leur entreprise en 2012. « Notre but n’était pas de créer une entreprise au départ, mais de faire un produit. Si cela avait été possible, on l’aurait fait chez Oracle ». Ils baptisent leur start-up Snowflake, en référence à leur passion commune pour le ski.
Les deux ingénieurs achètent une imprimante et un tableau blanc et passent plusieurs mois à chercher un système alternatif, qui permettrait d’ajuster les ressources à la demande de chaque client, de façon à ne payer qu’en fonction des besoins et d’étendre les capacités à l’infini. Une période intense et stressante, se souvient-il, mais le duo trouve une solution au bout de 4 mois. Avec l’aide de leur investisseur Mike Speiser, de Sutter Hill Ventures – un des premiers fonds de venture de la Silicon Valley – la start-up commercialise ses premiers produits en 2014 et recrute Bob Muglia, un ancien responsable de Microsoft, comme CEO, permettant aux co-fondateurs de rester concentrés sur ce qu’ils aiment faire: le développement.
Très rapidement, Snowflake rencontre un succès massif auprès des plus grandes entreprises américaines. « Nous avons connu une croissance impressionnante et surtout, nos clients ont apprécié notre service et nous l’ont communiqué ». L’entreprise affiche de grandes ambitions : elle lève 26 millions de dollars en 2014, 79 millions l’année suivante, 105 millions en 2017 et même 450 millions en 2018 et 479 millions en février dernier. La jeune pousse n’a pas besoin d’argent mais elle décide néanmoins de donner le « go » à son IPO, pour deux raisons. D’une part, face à la concurrence de grands noms comme Google ou Amazon, l’entreprise veut se doter d’un statut et d’une plus grande visibilité. D’autre part, elle souhaite offrir une option d’exercice de leurs actions à ses employés.
« Il n’y a pas de recette miracle, mais il ne faut pas rater le coche », résume l’entrepreneur, et force est de constater que Snowflake a visé juste. L’entreprise a surpris son monde en annonçant l’entrée de Warren Buffett, l’oracle d’Omaha, et pulvérisé les records lors de son IPO : elle a levé 3,4 milliards de dollars, soit la plus importante introduction en Bourse de l’Histoire pour un groupe de logiciels. Son cours de Bourse a plus que doublé lors de son premier jour de cotation et s’est largement maintenu depuis. Benoît Dageville attribue cette réussite à plusieurs critères : « le produit Snowflake de ‘data cloud’ permet désormais de déplacer et de partager des données, cet effet réseau très sécurisé est une véritable révolution. Notre équipe extraordinaire emmenée par Frank Slootman (le CEO recruté en 2019 pour gérer la croissance, NDLR) a été récompensée pour son travail, et cette belle réussite n’est qu’une étape vers l’objectif final : faire de Snowflake le leader mondial du cloud et du big data ».