Il a visité une Amérique un peu spéciale avec ses crayons. L’auteur français de bandes dessinées Manu Larcenet, très souvent primé dans les festivals internationaux prestigieux (Angoulême, Genève, Naples), vient d’adapter un des romans majeurs de l’écrivain américain Cormac McCarthy (mort l’an dernier à l’âge de 89 ans), La Route (The Road, 2006, prix Pulitzer 2007, BD publiée chez Dargaud).
Pourquoi cet auteur français, réputé pour ses créations alliant humour et imagination débridée, a-t-il plongé son nez et ses crayons dans cette histoire post-apocalyptique mettant en scène un père et son fils en quête d’un paradis perdus ? « J’aime les histoires noires et j’ai aimé la Route pour l’ambiance sombre qui s’en dégage, répond-il. Sans doute aussi parce que j’aime dessiner la neige, le vent froid, l’humidité, la rouille, les arbres morts, mais aussi la violence et la tendresse. En le lisant, je n’ai eu d’autre envie que dessiner les mots de McCarthy. »
Les deux auteurs ont échangé au début du travail de Manu Larcenet. Cormac McCarthy a donné son accord après avoir vu les premières planches, mais s’est éteint en plein processus créatif de son alter ego français. Les 150 pages de la BD, qui rassemblent 1400 images, livrent un récit très sombre.
Pendant un an et demi, Manu Larcenet a travaillé, sur sa tablette numérique, des dessins plus réalistes que ses précédents ouvrages. Il s’est entouré pour cela des gravures de Dürer et Gustave Doré, dont il disposait les ouvrages ouverts autour de lui, ainsi que des livres d’anatomie pour reproduire au plus juste les expressions corporelles. Il a aussi dû adapter un roman de peu de dialogues. « Ce qui est magique, dans le métier de dessinateur, c’est que chaque trait est, lui aussi, un mot : un mot silencieux, éclaire-t-il. J’ai lu et relu La Route et j’ai voulu mettre mes traits sous les mots de ce roman pour en illustrer les silences. »
À l’origine, le roman était censé illustrer les doutes d’un Cormac McCarthy devenu père à un âge avancé (73 ans). Manu Larcenet a creusé le sillon, y a également mis un peu de lui (l’auteur français s’est énormément confié sur ses troubles bipolaires), et a essayé de raconter l’Amérique. « Bien sûr, les références et le décor de cette histoire font de l’Amérique le cadre de ce roman, mais il est beaucoup plus universel, prévient-il toutefois. C’est d’abord, dans un monde post-apocalyptique, une histoire poignante de paternité silencieuse. Un père qui essaye de transmettre à son fils le souvenir d’un monde disparu. Qui essaye de le préparer à sa disparition, de lui enseigner à survivre mais aussi peut-être à mourir. »
Le roman connaît un succès phénoménal depuis sa sortie le 29 mars en France (20 000 ventes au bout d’une semaine, réimpression déjà programmée). Douze pays ont acheté les droits et le livre paraîtra à l’automne aux États-Unis (chez Abrams), avec les mêmes dessins et des dialogues traduits en anglais.
« C’est un roman très silencieux, avec peu de dialogues, développe son éditeur Claude de Saint Vincent, Directeur de Dargaud. Presque tous ces dialogues sont ceux du roman et donc reprennent les mots de McCarthy. C’est l’exploit de l’auteur de cet album que de l’avoir illustré d’une façon aussi personnelle et originale et pourtant totalement fidèle au roman de Cormac McCarthy. »
Ce n’est pas le premier album de Manu Larcenet qui paraît aux États-Unis. Ordinary Victories (Le Combat Ordinaire) avait été publié par NBM en 2008.