C’est un New York où ne s’aventurent que les New-Yorkais. Le New York des coins perdus de Bushwick, des laissés-pour-compte, des oubliés. Jean-Stéphane Sauvaire, le réalisateur français précédemment auteur de « Johnny Mad Dog » (2008) et « Une Prière avant l’aube » (2017), y a posé ses caméras pour son troisième long-métrage, intitulé « Black Flies ». Il n’a pas eu besoin de faire beaucoup de chemin puisqu’il habite le quartier depuis une quinzaine d’années. Mais ses talents ont convaincu le Festival de Cannes d’intégrer le film dans sa Sélection Officielle, en compétition pour la Palme d’Or en compagnie de 20 autres films et de réalisateurs prestigieux (Kaurismaki, Anderson, Triet, Kore-Eda, Moretti, Ceylan, Loach, Wenders…).
« Cannes, ça devient comme une famille, puisque mes deux premiers longs-métrages y avaient déjà été sélectionnés, Johnny Mad Dog dans la catégorie Un Certain Regard, et Une Prière avant l’aube dans la sélection de minuit, hors compétition, confie-t-il depuis sa maison de Bushwick, quelques jours avant de s’envoler pour la France. Se retrouver en sélection officielle, c’est une belle surprise mais c’est une progression. »
Le film, inspiré d’un livre de Shannon Burke du même nom (« 911 » dans sa traduction française), raconte le quotidien d’un jeune ambulancier, incarné par Tye Sheridan (« The Tree of Life », « Mud »), qui découvre le métier en compagnie d’un collègue expérimenté et désabusé (Sean Penn). On pense forcément à « À Tombeau Ouvert », le film de Martin Scorsese (1999) au thème et au décor -New York- similaires.
« La difficulté était : comment faire mon film sur New York, sans tomber dans la redite, en me détachant de tout ce que j’avais pu emmagasiner jusque-là ?, reconnaît le réalisateur. Il y a pleins de films que j’admire et qui ont filmé New York. C’est aussi pour ça que je suis venu vivre ici. J’ai voulu filmer la ville comme un corps en ébullition, comme une artère avec ses vaisseaux, quelque chose d’organique. La ville est montrée comme un piège dont on ne peut pas s’échapper. New York est devenu un personnage du film. J’ai voulu le filmer comme une expérience, quelque chose d’immersif, dans une espèce de New York assez peu montré aujourd’hui au cinéma. »
Jean-Stéphane Sauvaire et ses équipes ont beaucoup filmé de nuit, en très peu de temps (23 jours), un peu à Chinatown ou dans le Bronx mais surtout à Bushwick. « Dans ma maison et dans des lieux autour, dans une laverie au coin de la rue, dans un take-out asiatique, dans un appartement un peu plus loin, raconte-t-il. Bushwick est un peu ce New York fascinant qui est en train de disparaitre. Un New York qui rappelle les années 80 et 90. Un New York mythique qui n’existe plus vraiment. Ça me plaisait de tourner dans un New York encore resté un peu dans son jus. Bushwick est une sorte de Tour de Babel, avec plein d’origines différentes. »
Les moyens ont été réduits et la technique limitée, volontairement. « Je voulais capturer la ville telle qu’elle est, être à armes égales, explique-t-il. Mon cinéma se rapproche davantage du documentaire dans la forme. J’ai voulu montrer la réalité de New York. Montrer cette face plus populaire de la ville, ce côté tiers-monde presque, cette misère sociale qui est très forte ici. Les gens sont obligés de se débrouiller par eux-mêmes, c’est assez dur mais ça leur donne beaucoup d’énergie et de générosité. »
L’histoire est un prétexte. Jean-Stéphane Sauvaire continue à y mettre les thèmes qui lui sont chers : la violence, la rédemption, la spiritualité. Son choix d’acteurs a été très arrêté dès le début (Mike Tyson, un enfant de Brooklyn, est aussi à l’affiche) et le travail de préparation intense : le metteur en scène a passé un an et demi, au rythme d’un ou deux jours par semaine, en immersion avec les ambulanciers de l’hôpital de Wyckoff, pour emmagasiner un maximum de détails.
« Je voulais qu’on soit précis sur chaque geste, justifie-t-il. Je voulais être en mesure de comprendre la violence de la ville et comment tout cela s’imbrique. Le métier d’ambulancier me paraissait intéressant car les ambulanciers entrent dans l’intimité des gens, dans leurs appartements, à des moments où ces personnes sont très vulnérables. » Un New York loin des cartes postales, mais un New York sûrement plus fidèle à la réalité.
Les dates de sortie du film aux États-Unis et en France n’ont pas encore été définies.