Si le monde de l’aérien compte sa part de personnages hors norme, souvent attirés par le « glamour » d’un secteur qui continue de faire rêver, on y trouve peu d’épiciers vendéens… C’est pourtant comme ça que persiste à se décrire Jean-Paul Dubreuil, le fondateur du groupe éponyme et propriétaire de la petite compagnie aérienne French Bee. Ce 14 juillet, il lance une nouvelle liaison Paris-New York, à prix cassés. French Morning l’a rencontré à l’occasion de cette ouverture.
La passion des avions
Si vous n’êtes pas vendéen, il est probable que vous ne connaissiez guère le Groupe Dubreuil. Toujours basé à côté de la Roche-sur-Yon (Vendée), ce conglomérat de PME, regroupant des concessions automobiles, des distributeurs de matériel agricole ou de travaux publics ou encore des hôtels, pour l’essentiel dans le grand ouest français, pèse pourtant quelque 2,2 milliards d’euros et est devenu, discrètement, le premier transporteur aérien privé français, avec Air Caraïbes et, plus récemment, French Bee.
L’incursion aérienne de Dubreuil est pourtant tout sauf le fruit du hasard, celui de la passion d’abord. Devenu patron à 24 ans, succédant à son père, décédé brutalement, à la tête d’une petite entreprise de distribution alimentaire et de carburants, Jean-Paul Dubreuil entreprend alors de diversifier l’entreprise. Et comme il est passionné de pilotage d’avion -il a son brevet depuis l’âge de 17 ans-, il créé dans les années 1970 une petite compagnie -Air Vendée- qui a d’abord pour objectif de faciliter ses déplacements professionnels et ceux de ses amis entrepreneurs de la région. De là naîtra Regional Airlines, qui sera revendue en 2000 à Air France. Il se redéploie alors vers les Antilles, rachetant Air Caraïbes et deux autres petites compagnies pour devenir rapidement le premier transporteur entre Paris et les Antilles françaises. Rare compagnie rentable dans un univers peuplé de faillites et de sauvetages en série, Air Caraïbes se distingue rapidement, au point d’envisager le rachat de Corsair en 2015 pour devenir première compagnie indépendante face au mastodonte Air France. Mais le deal échoue, faute notamment d’accord des syndicats de Corsair.
Des Caraïbes à New York
« Avec le recul, l’échec du rapprochement avec Corsair a été une bonne chose, assure aujourd’hui Jean-Paul Dubreuil. Cela nous a ouvert des horizons ». En 2016, nait French Bee (d’abord French Blue, rebaptisée sous la menace judiciaire de Jet Blue), qui commence en venant tailler des croupières à Corsair sur une de ses principales destinations, La Réunion. « Forts de notre réussite avec Air Caraïbes, nous avions le sentiment de pouvoir apporter quelque chose au transport aérien, avec une approche différente ». Cette approche c’est, peu ou prou, celle des méthodes du low cost (il préfère dire « smart cost ») importées dans le secteur du long courrier. Et là aussi, ça marche: sur la Réunion d’abord, puis Tahiti, via San Francisco, French Bee devient elle également une compagnie rentable. « Dès lors, nous avons regardé où nous pouvions grossir. Les Dom-Tom, notre niche de départ, étant désormais couverts, New York est vite devenue une évidence: pour notre modèle, avec de gros avions qu’il faut remplir, il faut des liaisons à forte demande ». Avec Marc Rochet, le président opérationnel de la compagnie, qui connait très bien la liaison pour y avoir notamment ouvert l’Avion, une compagnie tout-business, ils préparent l’ouverture de New York en… juin 2020. La Covid-19 oblige donc la compagnie à revoir ses plans, mais pas à y renoncer. De report en report, au gré des décisions gouvernementales de fermeture des frontières, les dirigeants décident finalement de lancer ce 14 juillet, même si la fin du travel ban américain, tant attendue, n’a toujours pas été annoncée. « Il était important de se positionner avant les autres et si la demande est faible de la France vers New York, les réservations sont déjà très dynamiques dans l’autre sens », confie-t-il.
Jean-Paul Dubreuil est optimiste pour cette nouvelle ligne, comme pour French Bee, même si l’année 2020 a été évidemment douloureuse, marquant la première année déficitaire pour le groupe. L’aérien qui représentait 35% du chiffre d’affaire du Groupe Dubreuil en 2019, est tombé à 20% en 2020. Mais la compagnie n’a pas renoncé à ses plans de croissance qui devraient l’amener à passer de 400 à 700 personnes d’ici à 2023, avec notamment l’ouverture d’autres liaisons en Amérique du Nord.
Gestion d’épicier
Une ambition et des plans qui tranchent singulièrement avec l’ambiance qui règne chez la totalité des transporteurs low cost longs courriers qui ont soit fait faillite, soit largement réduit la voilure. Le secret? « Nous restons des entrepreneurs vendéens, prudents ». Une âme de « centimier », distributeurs habitués aux marges réduites, qui gagnent leur argent sur le volume mais aussi la rigueur de gestion. « En appliquant ces méthodes d’épiciers à l’aérien, on a montré qu’on pouvait être rentables et ce depuis des années -à l’exception évidemment de 2020 ». Et l’entrepreneur de pointer du doigt la « folie des grandeurs » d’un Norwegian par exemple… « L’aérien est certes une passion pour moi, mais la raison passe avant la passion. On n’achète pas un A350 qui coûte 150 à 200 millions de dollars pour se faire plaisir… C’est en étant à la fois ambitieux et raisonnable que le groupe est passé de 50 personnes en 1966 à plus de 5000 personnes aujourd’hui! »
A 78 ans, Jean-Paul Dubreuil est toujours président de Dubreuil Aéro. Dans le reste du groupe, la transmission familiale est engagée depuis bien longtemps: son fils Paul-Henry est aux commandes du groupe depuis plus de dix ans, au côté de ses deux filles Sophie et Valérie. Mais l’aérien reste le domaine du patriarche. « J’aurais dû décrocher depuis un moment, dit-il, mais je suis resté un peu plus à cause de la crise. J’arrêterai en 2022, il faut savoir régénérer les équipes ». Mais avant ça, le pilote amateur savourera sa réussite avec le départ d’Orly de son A350 ce 14 juillet. A distance: faute d’avoir pu obtenir une dérogation des autorités américaines, le « travel ban » toujours en vigueur pour les voyageurs en provenance d’Europe, lui interdit d’embarquer.