Lorsqu’elle s’est installée aux Etats-Unis il y a dix ans, Anne-Fleur Andrle n’avait pas d’idée précise de ce à quoi son expatriation ressemblerait : « A l’époque, il m’était difficile de m’engager dans une direction ou dans l’autre : rentrer en France ou rester aux Etats-Unis avait chacun leurs avantages », se souvient-elle. Mais elle aimait l’Amérique et souhaitait obtenir un diplôme international, qu’elle a décroché en sciences biomédicales à l’université d’Etat de New York.
Après une vie professionnelle bien remplie – d’abord employée d’une société d’équipements médicaux puis d’une plateforme de réalité assistée ayant développé des lunettes connectées, elle crée sa propre entreprise en 2016 et fonde également le chapitre bostonien de La French Tech –, Anne-Fleur Andrle décide finalement d’accorder plus de temps à ses premières amours : la radio, qu’elle avait découverte en tant qu’étudiante sur le campus de son école d’ingénieurs en Picardie.
French Expat Le Podcast, le début de l’aventure
« A l’époque, j’étais très stressée de faire du direct. C’était un exercice un peu différent de ce que je fais maintenant », explique-t-elle. Ce qu’elle fait maintenant, et depuis l’automne 2019, c’est produire des podcasts. Son premier projet, French Expat Le Podcast, donne la parole aux expatriés français et trouve vite son public. Désormais dans sa deuxième saison, il est écouté dans 113 pays (« la semaine dernière, il a été écouté sur tous les continents », précise Anne-Fleur Andrle, ajoutant trouver les statistiques « complètement lunaires »). 75% de ses auditeurs sont des femmes, et la moitié d’entre eux ont un projet d’expatriation ou en reviennent.
Le projet a bien grandi depuis son lancement et réunit désormais une équipe de cinq personnes. L’étape suivante est celle de la monétisation via des sponsors. « J’aimerais pouvoir professionnaliser tout ça. Je consacre entre cinq et six heures par jour à mes podcasts, en plus de travailler à temps plein et d’avoir un enfant. L’idéal serait de pouvoir gagner ma vie avec ça et d’adapter mon emploi du temps. » Anne-Fleur Andrle travaille actuellement au MIT, dans un département dédié à l’éducation professionnelle aux nouvelles technologies, et y a aussi créé un podcast. « Je touche à énormément de projets excitants dans ma branche. La mentalité interne me permet de donner vie à mes idées, même si elles ne font pas partie de mes attributions principales ».
Diversité, inclusion et accessibilité à l’ère numérique
Victime de son succès, French Expat Le Podcast reçoit aujourd’hui énormément de propositions. Anne-Fleur Andrle essaie « d’être sélective, sans jugement de valeur mais plutôt pour avoir plus de diversité . Même si l’on entend seulement une voix en écoutant un podcast, je remarque que mes interlocuteurs sont majoritairement des femmes blanches. Je voudrais que tout le monde se retrouve dans ce que je fais – et pas seulement en tant que personne, mais aussi en termes de destinations : j’aimerais par exemple donner la parole à des gens installés en Chine (où l’accès aux plateformes de streaming est réduit), en Afrique et en Amérique du Sud. » En plus de la diversité, l’inclusion et l’accessibilité sont des valeurs sur lesquelles Anne-Fleur Andrle souhaite se concentrer en 2021, et notamment pour le public sourd et malentendant. « Cela demande des ressources dont je ne dispose pas forcément actuellement », reconnaît-elle. C’est en écoutant Vulgaire, le podcast humoristique français de vulgarisation de la comédienne Marine Baousson, qu’Anne-Fleur Andrle a réfléchi au sujet. « L’épisode sur la Langue des Signes Françaises, un peu moins drôle que d’habitude mais vraiment percutant, expliquait les challenges auxquels les sourds et malentendants font face au quotidien. Pour une démarche inclusive d’accessibilité, il faut penser à eux en amont. J’aime penser que l’on raconte de belles histoires, et c’est quand même dommage de ne pas pouvoir les partager avec tout le monde. » Elle a donc lancé un appel sur les réseaux sociaux, et de nombreux abonnés lui ont proposé de l’aider à retranscrire ses épisodes à l’écrit. Sa troisième production, Génération Podcast, est désormais intégralement retranscrite. Pour les deux autres, French Expat Le Podcast et Alors c’est pour bientôt, Anne-Fleur Andrle contemple la possibilité d’éditer des livres : « Je trouverais génial de raconter ces histoires avec une mise en scène, qu’on puisse les consommer de différentes façons, et pas forcément dans l’ordre des épisodes publiés. Pour French Expat par exemple, je pense qu’il y a autant de manières de s’expatrier qu’il y a d’individus – avec des attentes et des craintes différentes. Je voudrais mettre en valeur nos différences et nos points communs, en dédiant par exemple une partie à l’entrepreneuriat en expatriation, une autre aux challenges liés au fait de suivre son ou sa conjointe, etc. ».
Entrepreneuse et serial podcasteuse
« J’ai rarement une conversation où je ne dis pas : “ça me fait penser à un épisode…” », admet-elle. Une pause s’impose pour certains de ses projets. Le dernier épisode d’Alors c’est pour bientôt, son deuxième podcast consacré à la parentalité, est sorti cette semaine. « C’est un chapitre qui se ferme. J’ai pris beaucoup de plaisir à le produire, mais émotionnellement, ce podcast draine beaucoup plus d’énergie que les autres. Je n’ai pas la capacité émotionnelle de le poursuivre en ce moment. » Le temps libéré sera tout de suite investi ailleurs : Anne-Fleur Andrle a lancé il y a deux mois Génération Podcast, un podcast dédié… au podcast. « J’ai beaucoup d’idées et le temps me manque : j’aimerais pouvoir traiter d’actualité, mais aussi raconter des histoires à une voix et documenter une histoire familiale dans une série. Ce qui est formidable avec le podcast, c’est d’avoir la possibilité de tester beaucoup d’idées sans prendre d’énormes risques, mis à part de son temps. J’ai une petite communauté, mais très fidèle et généralement réceptive quand je tente de nouvelles choses », apprécie-t-elle. En plus de produire cinq podcasts, Anne-Fleur Andrle a aussi lancé un podcast club (« comme un book club, version audio ! ») et un espace de travail sur Slack. Les deux s’accompagnent de rencontres virtuelles : « J’y ai invité les podcasteurs que je connaissais. Entre les Etats-Unis et la France, nous sommes une cinquantaine. Je crois beaucoup à l’intelligence collective, et je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. »
Les podcasts, une tendance américaine
« Les Américains consomment plus de podcasts que les Français : 10% des Français tout âge confondu en écoutent, contre plus de 50% aux Etats-Unis », détaille la passionnée. « Ils sont en avance. Et il existe peut-être également une barrière d’adoption technologique. Le podcast est un média qui a été plus ou moins introduit par Apple il y a une dizaine d’années. Le mot lui-même, contraction d'”iPod” et de “broadcast” (diffuser), a du sens en anglais. En français, ma grand-mère est incapable de le prononcer », sourie-t-elle. Avec plus de 850 000 podcasts et trente millions d’épisodes en ligne, ce format audio a de beaux jours devant lui. « 2021 sera l’année du podcast en France », affirme Anne-Fleur Andrle. « Tous les signaux sont au vert, et je crois que la pandémie a aussi fait découvrir cette manière d’informer de manière un peu passive ». Si vous n’êtes pas encore familier du genre, Anne-Fleur Andrle recommande Pèlerinages américains aux Etats-Unis et La France Baladeuse dans l’hexagone. Et pour plus idées, Génération Podcast fait chaque dimanche le point sur les podcasts du moment.