Alain Mabanckou a passé son enfance au Congo Brazzaville et s’est envolé pour la France à l’âge de 22 ans. Depuis 2002, il vit aux États-Unis et partage son temps entre Paris et Los Angeles, entre ses activités d’enseignant à UCLA et l’écriture. Fort de son chemin de vie entre les trois continents, il s’est forgé, au fil des années, une identité multiculturelle. Cette identité plurielle et en mouvement, nous sommes nombreux à en faire l’expérience après avoir quitté notre terre natale. Plus complètement chez soi en France, jamais vraiment chez soi dans notre pays d’adoption, nous naviguons au sein des complexités de ce « micmac identitaire » au quotidien.
Alain Mabanckou, lui, choisit de voir l’identité comme une notion mobile. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage à Dallas dans le cadre du mois de la francophonie organisé par l’Alliance Française en partenariat avec The Wild Detectives, DIS et SMU.
Quand on lui demande comment il se présente à une personne qu’il rencontre pour la première fois et s’il se définit par son lieu de naissance, son lieu de résidence, ou son statut de « migrateur », Alain Mabanckou rit. Il le reconnaît, plus les années passent, plus il est difficile de répondre à cette question. « Au fil du temps, dit-il, on s’enracine dans des lieux différents et on perd progressivement le sens de la définition par le lieu d’origine ».
« Votre géographie personnelle est une formidable mosaïque composite » déclarait Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture et de la Communication en mars 2011, en remettant à l’écrivain les insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Alain Mabanckou est tantôt décrit comme un Franco-congolais, un Congolo-français, ou tout simplement un Congolais ou un Français. Des casquettes multiples qu’il accepte volontiers car elles décrivent tous les éléments qui composent son identité. « J’avale cette rumeur du monde, je prends toutes les influences du monde pour me forger une identité. Les gens ont intégré le fait que celui qui vit longtemps dans la migration est un migrateur, il ne peut plus venir réclamer une certaine sédentarité. Où que vous soyez, on vous verra toujours comme un étranger, un citoyen français provisoire. »
Quand il arrive aux États-Unis en 2002, Alain Mabanckou a, comme beaucoup d’entre-nous, l’habitude de regarder le pays sur le plan sportif, culturel et politique. Selon lui, le décalage entre notre perception des États-Unis et la réalité est lié au fait qu’on a « toujours tendance à vouloir imposer une Amérique collective, et c’est ça qui crée souvent la déception. À force de rêver de l’Amérique des autres, je risquerais de ne pas vivre la mienne. Si à l’inverse on reconnaît que chacun de nous a sa propre Amérique, alors l’Amérique devient une nation subjective qu’on définit selon l’expérience qu’on a vécue sur son territoire. »
Après avoir passé plus de 20 ans dans le pays et publié Rumeurs d’Amérique (éditions Plon), il reconnaît « n’avoir jamais ressenti le désir d’Amérique comme je ressens l’urgence du Congo Brazzaville ou la présence de la France. Je sens que l’Amérique est plutôt là pour nourrir ma passion du Congo et de la France. C’est peut-être en France que je me suis senti le plus africain. Et aux États-Unis que je me sens le plus européen. »
Lorsqu’on lui demande conseil pour vivre au mieux les complexités d’une identité multiculturelle, il répond « qu’il ne faut pas voir cette multiplicité identitaire comme une surcharge. Ça doit être perçu comme la chance d’avoir beaucoup de choses dans son grenier. C’est comme si vous aviez une multitude de clés dans la vie. Même si, dans l’instant, vous ne savez pas à quoi sert cette clé, vous savez qu’elle finira par ouvrira des portes plus tard. Le malheur, c’est d’être enfermé dans une seule identité. Qui vous dit que l’identité dans laquelle vous êtes enfermé est celle qui saura le mieux vous définir ? Je suis pour l’éclatement de cette identité et la conception selon laquelle l’identité est une notion mobile, ça change, ça épouse la couleur de notre époque. »
Le futur, Alain Mabanckou l’envisage entre différents continents pour ne pas avoir à affronter la lassitude. « J’adore l’idée d’avoir plusieurs chez soi, c’est le petit luxe que je souhaite dans mon existence. »