Dans la vie, Alain Mabanckou est exactement comme son dernier roman, Lumières de Pointe-Noire : attendrissant, drôle, parfois ironique, quelques fois grave.
Casquette vissée sur la tête, sourire aux lèvres, mains dans les poches, Alain Mabanckou déambule sur Third Street Promenade, à deux pas de l’océan. A Santa Monica, où il est installé depuis 2006, il est désormais comme chez lui. «Partout où je vais, je m’adapte très facilement », dit-il.
Pour cet écrivain franco-congolais, né à Pointe-Noire en 1966, le voyage et l’exil sont devenus un mode de vie. Il quitte l’Afrique et sa famille à l’âge de 22 ans pour la France, où il vient terminer ses études de droit. Après Dauphine, il passe dix ans au service du groupe Suez-Lyonnaise des Eaux, écrivant en parallèle. «Ca me vient de l’enfance, de mon côté oiseau solitaire, explique-t-il. J’étais fils unique et donc je discutais surtout avec les livres. Ma solitude m’a peut-être poussé à me confier en écrivant».
Après plusieurs livres salués par la critique, son roman Mémoires de Porc-Epic, reçoit le Prix Renaudot 2006. Lui qui n’est pas du sérail n’en revient pas. Il est remarqué par la prestigieuse université californienne UCLA qui l’invite comme visiting professor la même année. Puis le nomme professeur titulaire de littérature en 2007. « Ici, pas besoin d’agrégation ou de doctorat. J’ai appris toute la théorie dans les bouquins».
Se sent-il toujours Français en Amérique ? «Je laisse aux autres le soin d’apposer une étiquette. Je dis souvent que mon identité est tricontinentale. Je suis à la fois le produit de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique. D’une certaine manière, cela reflète un peu le chemin de mes ancêtres, déportés d’Afrique vers l’Europe puis envoyés comme esclaves en Amérique».
23 ans d’absence
En juin dernier, Mabanckou s’est rendu dans sa ville natale, Pointe-Noire, après … 23 ans d’absence. Au retour, il en a fait un livre. Le plus personnel sans doute.
« J’ai longtemps préféré me réfugier dans la fiction plutôt que d’affronter la réalité et le décès de ma mère (ndlr : morte en 1995, il n’a pas assisté à son enterrement), explique-t-il. C’est d’ailleurs la première phrase de mon roman ». Dans Lumières de Pointe-Noire, Mabanckou se dévoile et repart sur les traces de son enfance. Il dresse les portraits des personnages de sa famille, vivants comme disparus, arpente les rues d’une ville qu’il a parfois du mal à reconnaître. « C’est étrange de repasser quelque part où on a marché 23 ans plus tôt. Il y a les salles de cinéma qui n’existent plus, les églises pentecôtistes qui les ont remplacées ». Sur ses retrouvailles avec sa famille, il porte un regard à la fois tendre et critique. Il raconte notamment, qu’il a dû, comme il s’y attendait, « passer à la caisse », lui « l’Américain » qui a réussi.
Son livre évoque en demi-teinte la « poussière » des regrets et l’ambivalence des exilés vis-à-vis de leur pays d’origine : «Le Congo m’évoquait surtout un cimetière. Je craignais le choc en y retournant. Et puis j’ai reçu une invitation de l’Institut Français. D’ordinaire je refuse toujours. Là, c’était une Pauline qui m’invitait. Le prénom de ma mère ».
Mabanckou regrette les siens mais «pas d’être parti d’Afrique ». « Je me sens plus vivant dans le mouvement. Si j’étais resté à Pointe-Noire, je n’aurais peut-être jamais rien écrit. On écrit sur ce qu’on regrette. Je puise mon inspiration dans l’exil ».
Son prochain projet ? Ecrire sur la francophonie. « Pour montrer que ce n’est pas que la France. Que la langue française est protégée par des gens venus d’ailleurs parfois, comme Andreï Makine. Même si aujourd’hui, ce n’est pas le cas dans certaines banlieues ». Quant à l’Afrique, il a l’intention d’y retourner de temps en temps : « On s’habitue à la douleur, sourit-il. J’ai l’impression qu’il me reste encore beaucoup de choses à creuser là-bas ».