Adam Bohbot sort d’école de commerce en 2014. Après un passage chez Rocket Internet où il incube une vingtaine d’entreprises en Afrique, un petit tour en venture capital/private equity, puis une expérience d’un an aux États-Unis chez Obviously, un des pionniers de l’influencer marketing racheté par la grande agence de com WPP en 2023, il décide en 2018 de monter sa propre entreprise, à New York.
Son co-fondateur David Benayoun, rencontré quelques années plus tôt dans un taxi à Shanghai, a fait ses armes dans la création et fabrication de bijoux chez Ralph Lauren, Tory Burch et le label privé de Nordstrom. David sait créer des bijoux de qualité, Adam est un expert de l’influencer marketing. De cette alliance naît Ana Luisa, une nouvelle marque de bijoux de qualité à prix abordables.
L’entreprise, qui veut également s’illustrer par des pratiques de fabrication propres et cherche à devenir une « B corp », a connu une belle croissance depuis 2018 et compte aujourd’hui une centaine de personnes, à New York et en Roumanie. Soutenue dès ses débuts par l’entrepreneur conservateur et grand business angel français Pierre-Edouard Stérin, l’entreprise est très vite rentable et décline les offres de rachat pour se concentrer sur sa croissance.
Les bijoux Ana Luisa, d’abord vendus exclusivement en ligne, sont désormais en vente dans les grands magasins américains et, depuis l’année dernière, dans leur jolie boutique aux murs rouges de Soho, sur Spring street. Depuis peu, l’entreprise propose également un abonnement à 40$/mois – un mode de vente dont peu de bijoutiers avaient osé rêver. « Nous nous sommes inspirés du succès des abonnements AdoreMe dans la lingerie. C’était un pari, mais ça marche super bien et c’est un avantage incroyable dans un marché qui reste assez saisonnier ».
French Morning a rencontré Adam Bohbot dans ses bureaux de Brooklyn et il partage avec nous ses conseils de patron.
« Les entreprises américaines ont tendance à sous-traiter très vite une partie importante de leurs opérations qu’elles considèrent comme non essentielles. Il me semble que c’est important de faire le maximum de tâches en interne, du moins au début, car on apprend énormément ».
Ainsi, les premières années, toute l’équipe commence la journée par deux heures d’emballage et postage des colis. Elle continuera à le faire jusqu’à l’ouverture des canaux de distribution avec Bloomingdale’s, Macy’s et Nordstrom en 2021.
Plus récemment, c’est Adam Bohbot qui a négocié le contrat de location pour la boutique de Soho, supervisé les travaux de l’architecte, et même travaillé en boutique les samedi et dimanche. « Il faut s’investir corps et âme pour bien comprendre son business et sa clientèle. Bien maîtriser toute sa logistique, c’est le secret d’une entreprise saine et rentable ».
Fort de son expérience chez Obviously, Adam Bohbot a su mettre à profit un réseau d’influenceurs pour faire grossir sa marque. Ana Luisa a créé sa propre plateforme de veille des réseaux sociaux pour identifier les influenceurs émergents les plus en phase avec son audience cible. « Nous analysons des dizaines de millions de profils d’influenceurs avec un fort potentiel de croissance et nous proposons à certains influenceurs triés sur le volet de créer leur propre ligne de bijoux en partenariat avec Ana Luisa ».
Profil type d’un influenceur Ana Luisa : entre 30 et 50 000 followers, une belle croissance organique avec de très bons ratios d’engagement, une vraie authenticité. Les influenceurs « porte-manteaux des marques » (comprendre : prêts à travailler avec n’importe quelle marque), perdent vite leur crédibilité. « Les influenceuses – car ce sont souvent des femmes – avec lesquelles nous travaillons ont en général un métier à côté et mieux encore, celles qui ont un métier « de confiance », par exemple dans le secteur de la santé, ont des taux d’engagement dix fois plus élevés ! ».
Pendant les premières années de sa croissance, Ana Luisa consacre entre 50 et 70% de son budget marketing sur des influenceurs. Aujourd’hui encore, les influenceurs représentent environ un quart de son budget marketing.
« De 2020 à 2023, nous n’avions pas de boutique, mais nos clients les plus assidus trouvaient notre adresse en ligne et venaient nous voir dans nos bureaux. Nous avons fini par craquer et nous avons ouvert la boutique de Soho ». Le magasin, ouvert en l’espace de trois mois, est un succès immédiat. Il accueille aujourd’hui entre 5 et 10 000 visiteurs par mois, et un visiteur sur cinq environ repart avec un achat.
Si le commerce en ligne représente toujours la grosse majorité du chiffre d’affaires d’Ana Luisa, la boutique apporte à la marque une visibilité et une notoriété incomparables. Et c’est en passant devant la boutique que le directeur des bijoux de Bloomingdale’s aurait découvert l’enseigne.
Pour autant, l’envers du décor est plus difficile qu’il n’y paraît : le turnover des équipes est « une vraie baffe » : « Nous avons ouvert la boutique en décembre avec dix personnes, en mars il n’en restait plus que deux » avoue Adam Bohbot. Aujourd’hui, l’entrepreneur met autant d’effort dans le recrutement de ses équipes en boutique que dans celui du siège de l’entreprise. Un conseil ? Ne pas laisser les candidats choisir leurs références, « charge au recruteur de dire à qui il veut parler ».
Ana Luisa compte ouvrir 10 nouvelles boutiques dans les 18 prochains mois, dans les plus grandes villes des États-Unis. « C’est important d’être dans les grandes villes, mais ce n’est pas là où la loyauté est la plus forte », analyse enfin Adam Bohbot. Au-delà de cette première phase, il entend suivre la stratégie de Kendra Scott, l’une des premières marques de bijoux valorisée à plus d’un milliard de dollars, et s’implanter sur des villes moyennes où les loyers sont moins chers et la clientèle plus fidèle.