“Bonjour, bienvenue au Bagdad Café !” lance avec un léger accent américain Andree Pruett derrière son zinc, dès qu’un visiteur assoiffé par la chaleur franchit le seuil de sa porte.
Perdu au fin fond du désert des Mojaves, à deux heures de route de Los Angeles, ce bar-restaurant est devenue un lieu de pèlerinage obligé pour tout Français qui emprunte la mythique Route 66. Car c’est ici qu’a été tourné, en 1987, le célèbre film “Bagdad Café”. “Bien qu’il s’agisse d’un long-métrage germano-américain, Bagdad Café a surtout connu un gros succès en France (ndlr : où il a attiré plus de deux millions de spectateurs en salle)”, raconte la patronne, derrière son bar, où sont alignées plusieurs bouteilles de pastis. “D’ailleurs, aujourd’hui, 75% de ma clientèle est francophone”, précise cette pétillante septuagénaire aux cheveux blonds bouclés.
Assis à une table, Laurent et Florence Mietton, accompagnés de leurs deux enfants, n’en reviennent pas d’avoir croisé autant de Français en plein désert californien. “On a l’impression d’une sorte de point de ralliement au milieu de nulle part”, s’amuse la petite famille originaire de Lille qui a entendu parler du café par l’intermédiaire d’une amie. “J’avais vu le film petite et je tenais absolument à découvrir ce lieu insolite”, raconte Florence Mietton qui prévoit déjà de revoir le film avec ses enfants, de retour en France.
Des autruches à Johnny Hallyday
Césarisé en 1989, “Bagdad Café” raconte la rencontre entre une touriste bavaroise abandonnée en plein désert par son mari et la patronne afro-américaine d’un motel délabré, au bord de la Route 66. Une histoire presque aussi improbable que l’arrivée d’Andree Pruett à Newberry Springs, un hameau situé à quelques kilomètres de la ville fantôme de Bagdad. “En 1995, mon mari Harold m’a convaincue de quitter Los Angeles où nous vivions pour commencer une ferme d’autruches dans la région”, raconte-t-elle. Mais l’eau se révèle extrêmement difficile à acheminer en plein désert et le couple est très vite contraint d’abandonner son projet.
Dans le même temps, elle et son mari découvrent que le Bagdad Café est à vendre. “Comme nous sommes une famille de cinéphiles, mon mari a tout de suite été séduit par l’histoire des lieux et a décidé de racheter le café”. Elle passe alors derrière le comptoir. Mais au début des années 2000, un double drame frappe le petit bar des Mojaves. “En quelques mois, j’ai brusquement perdu mon mari et mon fils. C’était tellement difficile sans eux que j’ai bien failli mettre la clef sous la porte”.
Jusqu’à ce qu’elle reçoive la visite du réalisateur du film, Percy Adlon, qui la convainc finalement de rester. Petit à petit, Andree Pruett remonte la pente, notamment grâce au soutien des clients français, qui, grâce au bouche à oreille, sont de plus en plus nombreux à venir lui rendre visite dans le désert. “J’ai même eu le bonheur d’accueillir un jour Johnny Hallyday !” explique-t-elle fièrement. “Il m’a offert une magnifique perle noire que je garde précieusement”.
Blasons de gendarmes et drapeaux régionaux
Comme le chanteur, les visiteurs qui s’arrêtent au légendaire Bagdad Café laissent tous derrière eux un petit souvenir de leur passage. “C’est devenu une sorte de tradition” raconte Andree Pruett.
Au fond de la salle, des dizaines de policiers et de gendarmes venus de toute la France ont par exemple épinglé leurs blasons sur tout un pan de mur. Au plafond, le drapeau corse côtoie celui de la Bretagne ou du Stade Toulousain. Même les murs des toilettes ont été intégralement recouverts de petits mots en français avec la date de chaque passage.
Lorsque l’on demande à Andree Pruett si elle ne se sent pas un peu dépossédée des lieux par ces hordes de Français sans foi ni loi qui se permettent de détériorer ses toilettes, elle ouvre de grands yeux étonnés : “Pas le moins du monde ! Ce café, c’est le leur. On est en territoire français ici ! Je serai toujours éternellement reconnaissante à vos compatriotes : c’est grâce à eux que je suis encore debout aujourd’hui”.