Du haut de ses 88 ans, Agnès Varda s’agite dans la galerie Blum & Poe de l’Upper East Side. « Je suis ravie de présenter ma première exposition à New York », sourit-elle, jeudi 2 mars.
L’exposition “Agnès Varda” a ouvert ses portes jusqu’au 15 avril. Reconnaissable entre mille avec sa coupe bicolore et le sommet de son crâne blanc, son « Mont Fuji » comme elle l’appelle, la réalisatrice française expose des oeuvres qui rythment l’évolution de sa vie artistique. « Je suis très connue pour mes films mais peu pour mon travail en tant qu’artiste plasticienne », estime-t-elle dans un anglais parfait.
Agnès Varda a en effet varié les moyens d’expression. A 20 ans, elle est photographe. Plus tard, l’intrépide jeune femme se lance en autodidacte comme cinéaste et devient l’une des rares réalisatrices de la Nouvelle Vague, allant même jusqu’à être considérée comme la mère de ce mouvement. Celle qui fut l’épouse du réalisateur Jacques Demy remporte alors tous les honneurs : l’Ours d’argent à Berlin pour “Le Bonheur” en 1965, le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1985 pour “Sans toit ni loi”, le César du Meilleur documentaire pour “Les Plages d’Agnès” en 2009, et la Palme d’or d’honneur à Cannes en 2015. En 2003, âgée de 75 ans, elle débute une troisième carrière, dans l’art plastique cette fois-ci.
Ces étapes sont toutes présentes au fil de l’exposition. La première salle renferme 18 photographies, déjà présentées en 1954 dans la cour de l’immeuble parisien d’Agnès Varda. « A l’époque, seuls les voisins étaient venus les voir », se souvient-elle. Plus loin, un court-métrage reconstitue une image prise depuis la terrasse du Corbusier à Marseille en 1956. Dans une pièce séparée, film et art contemporain se mélangent au sein de l’oeuvre « Le Triptyque de Noirmoutier », dans laquelle Agnès Varda donne la possibilité au spectateur de voir ce qu’il se passe hors-champs via l’utilisation de volets. Enfin, l’installation « Bord de mer », véritable invitation au calme et à la méditation, allie la photographie (une image de la mer), le cinéma (une vidéo montrant les vagues léchant la plage), et la réalité (du vrai sable). Une oeuvre complète pour cette cinéaste qui affirme avoir vieilli avec son art.
« Je ne suis pas ‘bankable’ »
Agnès Varda fait d’ailleurs peu de cas de sa vieillesse. L’air espiègle, elle affirme être comme une patate qui se ratatine. « C’est une métaphore amusante. Une vieille pomme de terre toute rabougrie avec des germes et des pousses, preuves de vie, qui sortent d’elle. C’est comme moi, je suis encore pleine de vie même si je suis très vieille. »
Comme pour illustrer cette vitalité, Agnès Varda apparaît constamment en réflexion. En présentant son oeuvre « Bord de mer », elle s’arrête, demande à ce que l’on éclaire plus le sable puis enclenche la fonction lampe de poche de son téléphone portable pour le faire elle-même. « C’est ce qu’on appelle ‘work in progress’ », rit-elle. Une envie insatiable de création qui, dit-elle, n’a pas besoin d’un large public pour exister. « Il suffit d’une personne pour qu’une image existe (…) De toute façon, je ne fais pas des choses qui se vendent bien. Mes films ne rapportent pas beaucoup d’argent. Je ne suis pas ‘bankable’. »
Qu’importe, cette octogénaire vient de terminer un nouveau projet : « Visages, villages », un documentaire co-réalisé avec le photographe français JR. Le film devrait être présenté au prochain festival de Cannes. « Et j’ai déjà un distributeur aux Etats-Unis », lance Agnès Varda. Qui ne s’arrêtera donc jamais.