La Géorgie du Sud et Zavodovski sont des îles au large de l’Antarctique, qui appartiennent à l’archipel britannique des îles Sandwich du Sud. Elles sont très peu visitées. Peuplées de phoques, de manchots et d’albatros, balayées par les vents, elles représentent une bonne idée de ce qu’est le bout du monde.
Luc Hardy en revient tout juste. A 58 ans, ce Français qui vit dans le Connecticut a monté une expédition de cinq semaines en voilier autour de ces îles, à laquelle neuf personnes ont participé. De quoi couper radicalement les ponts avec son quotidien d’investisseur en capital-risque : en temps normal, Luc Hardy dirige un fonds, Sagax, qui investit dans des start-ups (comme Virtuoz ou le Lending Club).
Ce périple devait honorer le centenaire de l’expédition Endurance d’Ernest Shackleton. Cet explorateur anglo-irlandais a réalisé, au début du siècle passé, un voyage mythique vers ces terres inconnues, qui a tourné au drame. Le bateau a été emprisonné par les glaces, l’équipage dut se réfugier sur une banquise en dérive pendant deux mois. A bout de force, les hommes se sont séparés, attendant un hypothétique secours. Au terme d’une incroyable odyssée, Ernest Shackleton réussit à gagner la Géorgie du Sud, traverser cette île montagneuse et enneigée à pied, et les faire sauver.
Heureusement, il n’est rien arrivé de tel à Luc Hardy. Ce voyage avait en premier lieu un objectif scientifique : l’équipe a largué onze bouées Argo, qui émettent des données satellitaires et mesurent les courants, la salinité de l’eau, la température. Parmi les passagers figuraient une sportive suisse, Géraldine Fasnacht, qui a réalisé diverses prouesses en snowboard. L’équipe a aussi effectué, à pied, la traversée des monts de Géorgie du Sud (50 km), sur les traces d’Ernest Shackleton. Un film, réalisé par Bertrand Delapierre et produit par Luc Hardy, doit sortir au printemps 2015 (le trailer et d’autres vidéos visibles ici), et Luc Hardy publiera un livre de photos, comme pour ses précédentes expéditions.
Car il ne s’agissait pas, pour lui, d’un coup d’essai. Cela fait plus de dix ans que ce Français monte et finance, via son organisation Pax Artica, des voyages dans des lieux reculés. Avec en trame de fond, une volonté de montrer les effets du changement climatique – Luc Hardy est par ailleurs vice-président pour la France de Green Cross, l’ONG environnementale créée par Mikael Gorbatchev.
Ces derniers temps, on a pu apercevoir Luc Hardy sur les îles Aléoutiennes (au large de l’Alaska), sur des territoires tribaux en Papouasie-Nouvelle Guinée, sur l’île de Baffin dans le Canada Arctique, sur un glacier de l’Himalaya, ou encore à Barneo, un campement russe installé sur la banquise, à proximité du Pôle nord.
Mais foi d’aventurier, cette dernière expédition a été particulièrement ardue. Ces îles, proches du redoutable Cap Horn, sont en plein dans les “cinquantièmes hurlants” : entre le 50ème et le 60ème parallèle de l’hémisphère sud, les conditions météo sont parmi les pires au monde, avec des déferlantes terribles. “Le vent était si fort qu’il pouvait nous faire tomber. On était toujours en mer, parfois cinq jours de suite. Ca bougeait tout le temps. Tout le monde a été malade, même moi qui fait du bateau depuis toujours, même le capitaine”, dit ce Breton, originaire de Saint-Malo.
Heureusement, il y avait de belles récompenses. Ces colonies de milliers de manchots en Georgie du Sud. Ces paysages “dramatiques”, avec ces montagnes qui “tombent à pic dans l’eau”. “Il y a, dans ces îles, un côté hanté. On aurait pu tourner le Seigneur des Anneaux là-bas.” Et la satisfaction de fouler des terres désertes. “Pouvoir débarquer sur l’île Zavodovski, où à peine un bateau n’arrive à passer par an, c’était magique. Là-bas, je me disais : il n’y a peut être que dix personnes qui sont allées sur cette plage. C’est l’endroit le plus inaccessible dans lequel je sois allé”.
De retour aux Etats-Unis depuis la mi-novenbre, Luc Hardy a ouvert ses “1.400 e-mails” et repris ses activités pour Sagax. Et pense déjà à ses prochains voyages : pourquoi pas l’Arctique russe, ou ces îles près du détroit de Béring… Ou bien un coin reculé en Amazonie.
Il ne se demande plus si cette passion est compatible avec son autre passion, le capital-risque. “Au début, quand j’ai commencé à mélanger les deux, je me disais : ‘cela ne va pas plaire’. Mais en fait, les gens autour de moi sont très enthousiastes. Il y a des parallèles assez évidents entre ces expéditions et le monde des start-ups : un état d’esprit très optimiste limite inconscient, une volonté de monter des projets, de surmonter des obstacles, de tester son endurance. D’ailleurs, les jeunes des start-ups avec qui je travaille, ils me disent tous : ‘on veut venir’ !”