De l’extérieur, le bâtiment ne paie pas de mine. Perdu dans une petite commune du Westchester, au nord de New York, l’entrepôt abritait jusqu’il y a peu un fournisseur de matériel électrique.
Désormais, c’est autre chose. Au total, plus de 3.000 oeuvres d’art appartenant à Gérard Louis-Dreyfus sont rassemblées dans cette galerie d’une dizaine de pièces. Parmi elles, 600 sont accrochées aux murs immaculés : toiles figuratives ou abstraites, sculptures, la plupart réalisées dans la seconde moitié du XXème siècle.
On y trouve pêle-mêle des oeuvres de Giacometti, Fernand Léger, George Grosz, Yves Tanguy, Leonardo Cremonini, Jean-Baptiste Sécheret, Helen Frankenthaler, Bill Traylor… D’autres sont stockées dans de grands panneaux coulissants.
La plupart de ces oeuvres n’appartiendront bientôt plus à Gérard Louis-Dreyfus : il vient de faire cadeau de l’essentiel de sa collection à Harlem Children’s Zone, une association qui va les vendre afin de financer ses activités – une école et divers programmes de soutien aux jeunes du quartier.
“C’est difficile de savoir quelle est la valeur de cette collection, je dirais que cela peut aller jusqu’à 50 millions de dollars”, estime Gérard Louis-Dreyfus, 82 ans, assis dans la cuisine attenante à la galerie. Il n’a plus beaucoup d’occasions de parler français, et appréhende un peu à l’idée de devoir employer sa langue maternelle, mais il suffit de quelques minutes pour le remettre dans le bain.
Vêtu d’un pantalon de flanelle et d’une fourrure polaire siglée au nom de son entreprise, il déambule entre ses oeuvres, peu loquace mais incollable sur l’auteur de chacune. “Je connais personnellement beaucoup de ces artistes”, affirme celui qui continue de suivre le marché de l’art et d’en acheter à l’occasion. “J’essaie de m’arrêter, mais c’est difficile.”
Héritier de cette famille bien connue dans le monde des affaires français (son grand-père, Léopold, a fondé l’entreprise Louis-Dreyfus, basée à Paris), Gérard Louis-Dreyfus est arrivé aux Etats-Unis à 8 ans, avec sa mère. Il a suivi ses études à Duke, puis travaillé comme avocat. A 37 ans, il a pris la direction du groupe familial, un mastodonte spécialisé dans les transports maritimes, l’immobilier, l’énergie, qui emploie aujourd’hui 22.000 personnes partout dans le monde.
“Quand je travaillais, j’allais en France presque une fois par mois. Maintenant, je n’ai plus beaucoup d’occasions d’y retourner”, confesse-t-il. Sa vie, il l’a construite aux Etats-Unis, et même anglicisé son prénom – ici, on l’appelle William. “Mais si Dieu me demande où je veux aller après ma mort, je lui répondrai la France, dit-il. La France a tout. C’est un pays très attirant, et très agréable à vivre.”
A la tête d’une fortune estimée par Forbes à 3,4 milliards en 2006 (l’année de sa retraite), Gérard Louis-Dreyfus a acheté de multiples oeuvres d’art dès les années 60, arpentant les foires comme la FIAC, à Paris. Une collection avec des styles “très divers” reconnait-il, avec quelques grands noms, et d’autres artistes peu connus.
Il a acheté ce bâtiment en 2009, et y a rassemblé ses oeuvres, dont beaucoup étaient exposées dans les locaux du groupe, où dans des hôtels de luxe que le groupe avait fait construire.
En donnant ses oeuvres à une association charitable, Gérard Louis-Dreyfus y a sans doute un intérêt fiscal, mais sa volonté de soutenir la communauté noire d’Harlem n’en est pas moins sincère.
“Ma volonté, c’est d’aider ces enfants, pour qu’ils puissent faire des études et réussir, explique-t-il. Depuis longtemps, ce pays n’a pas bien traité la population noire. J’ai pendant plusieurs années attribué des bourses à des étudiants noirs, afin de financer leur scolarité dans des universités. Ce qui m’intéresse avec Harlem Children Zone, c’est qu’ils agissent très tôt, dès la petite enfance, afin de combler les inégalités”, affirme-t-il.
Ses enfants ont bien réagi à cette nouvelle, assure-t-il. Sa fille ainée, Julia Louis-Dreyfus – l’actrice de “Veep”, et de “Seinfeld” – vient de sortir un documentaire, “The Generosity of Eye”, sur la décision de son père d’attribuer ses oeuvres aux enfants d’Harlem.
“Mes deux autres filles, qui travaillent dans le social, étaient aussi très en faveur de cela”, assure Gérard Louis-Dreyfus, qui habite tout près de sa galerie. Quant aux autres membres de la famille Louis-Dreyfus, il n’en dit mot. “Je suppose qu’ils approuvent aussi, mais s’ils n’étaient pas contents, je ne pense pas qu’ils le diraient”, glisse-t-il.
En attendant leur vente progressive au bénéfice d’Harlem Children’s Zone, les oeuvres vont rester dans cette galerie, qu’il est possible de visiter sur rendez-vous, en petits groupes, le mardi ou mercredi. Des groupes d’enfants de Harlem sont déjà venus à plusieurs reprises visiter “leur” collection.
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C’est vraiment extraordinaire le don que cet homme fait pour aider les plus demunis. Cela prouve qu’il y a encore des gens ” who care” et veulent faire une difference .
Bravo.
Mimi