Zoé Deleu n’a pas de temps à perdre. Après l’interview, elle doit filer faire les courses pour un dîner chez elle. “On devait être quatre, on doit être douze maintenant” .
Multiplier les assiettes ne fait pas peur à cette Parisienne qui adore recevoir. D’ailleurs, elle a fait de la cuisine son métier. Après une carrière dans le graphisme, cette diplômée de l’ESAG, école réputée pour les arts graphiques, a décidé de se réinventer dans le “catering” . En 2013, elle a monté sa propre société, Zoé Deleu Catering, et assure le service aussi bien de réceptions privées à 15 personnes que de grandes conférences à plusieurs centaines de participants. “Je faisais du graphisme en freelance à New York, mais c’était payé sous la table. Je travaillais de moins en moins. Je perdais confiance. J’en avais marre de faire du packaging pour des produits à la noix. Au bout de 15 ans, je n’y croyais plus” , explique-t-elle.
Elle avait commencé sa première vie avec l’ambition de devenir architecte, avant de se spécialiser dans le graphisme. Au gré des affectations de son mari, elle travaille une première fois à New York (au sein de l’agence Desgrippes Gobé) pendant cinq ans, puis Londres, puis Paris. Avant de revenir à New York il y a sept ans. “Mon mari avait un visa O-1 lorsque nous sommes revenus. Je ne pouvais pas travailler. Cela a précipité mon changement de boulot“. Autre problème pour la jeune femme: elle avait attrapé le virus de la cuisine par sa mère qui “cuisinait beaucoup et bien” . “Elle sortait toujours des recettes de sa tête, il n’y avais pas un seul livre de recettes à la maison, se souvient-il. Adolescente, je l’accompagnais le samedi au marché, alors que beaucoup d’enfants de mon âge auraient envoyé leur mère promener” .
En manque de motivation à New York, elle ne pense pas tout de suite à se reconvertir dans la restauration – “j’avais 36 ans, pas fait d’école culinaire, deux enfants en bas âge…” . Cela change, en 2011, quand une amie lui demande de servir 70 couverts pour une réception privée organisée par son mari. “Ça a été comme Cupidon qui m’a balancé sa flèche. Comme graphiste, je stressais au moment de rendre des travaux. Là, j’ai servi 70 personnes sans aucun stress. Comme si j’avais fait ça toute ma vie. Le lendemain, je me suis réveillée en me disant que c’était ce que je voulais faire” .
Elle est embauchée comme stagiaire par un traiteur de son quartier, qu’elle quitte après l’obtention d’une carte verte grâce à l’emploi de son époux. Après un an dans une autre société, elle décide de se mettre à son compte. “La chambre de mes enfants s’était remplie de frigos, de casseroles jusqu’au plafond. Mon proprio commençait à me regarder de travers…”
Lancer une entreprise n’est jamais facile, mais dans le monde du “catering”, l’investissement initial est important. Zoé Deleu a acquis une cuisine dans l’ancien Pfizer Building de Williamsburg pour la coquette somme de 50.000 dollars. A cela s’ajoute le coût des licences et des assurances car “c’est un métier à risque” , rappelle-t-elle.
Au-delà du coût, il y a aussi tous les autres tracas. “Il y a des gens qui peuvent se lancer dans la profession parce qu’ils adorent faire à manger en oubliant la partie cachée: le stress, la gestion des équipes, la recherche des clients… Aussi, on peut commander 40 livres de chou-fleur vert et c’est 40 livres de chou-fleur blanc qui arrive. Il faut laisser de la place à la marge d’erreur” .
Pour l’heure, la dynamique cheffe n’a pas fait chou blanc. C’est elle qui a assuré le service pendant le WIN Forum de la Française Catherine Barba à New York (400 couverts) en avril. Son credo: “commencer petit. Chaque job est une nouvelle étape. Après un nouveau coup de stress à 150 couverts, je me dis que je peux faire 300, puis 400″ , glisse-t-elle.
Elle a beau avoir revêtu la toque de cheffe, elle garde une part de graphiste en elle. Dans ses assiettes, elle aime jouer avec “les couleurs, les détails de la présentation” . Seule employée à temps plein de sa petite entreprise, elle aimerait recruter pour pouvoir “retourner en cuisine, visiter des fournisseurs, trouver des fermiers…” “Je suis dans ma cuisine à 3h du matin en écoutant France Inter. Je vois le soleil se lever. Puis les coups de fil commencent. J’aime l’adrénaline. On bosse comme un chien. On ne dort pas pendant quatre jours. Puis, on fait notre job et c’est comme un spectacle. Les clients viennent vous voir à la fin pour vous remercier, comme un artiste auquel on jette des fleurs. Ça n’a pas de prix” .
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c’est beau cet enthousiasme…Ca nous change des Français valeurs qui se sont plantés et se demandent pourquoi ?