Quand on fait la connaissance de Yann LeCun, on est surpris par le visage presque enfantin du chercheur, au CV plus long que la page Facebook de Kim Kardashian. Peut être parce que, quand on travaille dans l’Intelligence artificielle, on doit pouvoir rester jeune et continuer à rêver.
A 56 ans, après une carrière dans les meilleures universités en France et aux Etats-Unis, Yann LeCun est depuis trois ans à la tête de FAIR, le programme d’intelligence artificielle de Facebook, qui travaille à l’amélioration des services mais aussi à l’innovation. “Avant l’offre de Facebook j’avais été contacté par Google, mais je n’aurais pas eu la même liberté car il y avait déjà une R&D en place. Zuckerberg m’a permis d’avoir carte blanche pour créer FAIR de toute pièce de la manière qui me semblait la plus efficace“.
Lui et ses équipes travaillent actuellement sur le Facebook du futur: un profil comme celui que l’on connaît, au détail près qu’il sera équipé d’un assistant personnel intelligent, qui lira, traduira, réservera des billets d’avion. Bref, un super assistant virtuel. “Dans dix ans promet Yann LeCun, on aura aussi amélioré le traitement des photos, de la vidéo et des traductions de post dans n’importe quelle langue“.
Aujourd’hui déjà, l’intelligence artificielle est largement utilisée par Facebook, sans que les utilisateurs le sachent. “Sans l’algorithme de tri du fil d’actualité par exemple, 2 à 3 000 informations arriveraient chaque jour sur une timeline: des nouvelles des amis ou des actualités… C‘est beaucoup trop, explique le chercheur. Le système automatique de Facebook basé sur l’apprentissage va donc analyser les contenus et faire des choix en fonction de nos goûts et des choses qui sont susceptibles de nous intéresser“. Exit les photos de chats du vieil ami de fac dont on n’ouvre jamais les publications, et “welcome” l’article partagé par un ami proche.
La technologie va aussi classer vos photos, sous-titrer des vidéos pour ne pas déranger les voisins de métro. Pour les non-voyants, Facebook a également développé un système de description des photos. “Le système vocal va décrire l’image: il y a trois personnes, un voilier, il fait beau, les enfants sourient, ce qui permet vraiment de se faire une idée“, explique Yann LeCun avec enthousiasme. Aux Etats-Unis et dans de nombreux pays, l’IA identifie aussi les visages sur une photo et peut “taguer” les personnes. Un service qui n’est pas présent en Europe où “ni la législation ni le public ne sont prêts“.
Si Facebook est en pointe en matière d’intelligence artificielle, c’est en partie grâce au chercheur français, passé par l’université Pierre et Marie Curie. Dans les années 80, Yann LeCun est l’un des rares à croire en l’avenir du “deep learning”, l’apprentissage profond pour les machines: “On parle de deep learning depuis cinq ans mais ça fait trente ans que ça existe, explique le chercheur. L’architecture de ces machines est inspirée du cortex humain. Ce sont des neurones artificiels qui sont stimulés et il peut y en avoir des milliards“.
Grâce au “deep learning”, la machine peut apprendre et corriger ses erreurs, ce qui intéresse au plus haut point Facebook, Google, Amazon mais aussi le secteur industriel. Cela permet à la machine de battre l’homme aux échecs ou de conduire seul une voiture. Le chercheur travaille d’ailleurs sur les voitures sans chauffeur dans son autre vie: chercheur au sein de l’Université de New York (NYU).
Quatre-vingt personnes travaillent pour FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research), réparties sur trois sites: Menlo Park en Californie, New York et Paris où un laboratoire a été ouvert en 2015. “Il existe de très nombreux talents en Europe et notamment en France dans les domaines des mathématiques appliquées par exemple. Il y a des Européens qui travaillent pour Facebook aux Etats-Unis mais certains ne sont pas intéressés par l’aventure américaine, explique le directeur du programme. En s’implantant à Paris, on se rapproche de ces chercheurs, de ces ingénieurs et on évite ainsi qu’ils soient captés par la concurrence“.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les ténors du secteur comme Google, Facebook, Amazon et IBM pratiquent la recherche ouverte. Chaque société publie donc ses travaux et les autres s’en nourrissent. “Chez Facebook, on a influencé les autres dans ce sens car on a très vite compris que pour avancer, la recherche doit être collaborative, explique le Français. Il est très difficile d’attirer les meilleurs chercheurs si on ne leur permet pas de publier leurs résultats car c’est ce qui fait la réputation d’un chercheur, rappelle Yann LeCun. De plus, quand des résultats sont publiés, ils sont souvent plus fiables, de meilleure qualité“.
À Facebook, Yann LeCun travaille avec des moyens importants. L’universitaire a été convaincu par Mark Zuckerberg. “Je suis arrivé en 2013 et Facebook venait de fêter ses 10 ans. Zuckerberg se demandait comment évoluer et il a identifié l’intelligence artificielle comme développement naturel. Sa vision pour le rôle futur de l’IA était très claire et ambitieuse. Il a compris l’impact qu’elle aurait sur notre société“.
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