Rendez-vous est donné à 3h15 du matin (oui, c’est tôt) dans un local sans histoire près du Strip, à Las Vegas. Alors que certains terminent à moitié leur nuit, affalés dans des sofas, Jean-François Rigollet et son équipe sont sur le pied de guerre. Le Français, fan du FC Sochaux comme le trahit le logo du club accroché au mur, s’apprête à conduire le groupe d’une dizaine de personnes à Pahrump, à une heure à l’ouest de la ville du jeu. Ils vont vivre une expérience qu’ils n’oublieront jamais : un vol en montgolfière dans le ciel du Nevada au lever du soleil.
À 32 ans, le natif de Belfort est le pilote principal de Vegas Balloon Rides, une entreprise de ballons d’une quinzaine d’employées qu’il a rachetée en 2021. « Je ne voulais pas qu’elle meurt. C’est une entreprise familiale qui rend tous les jours des gens heureux, les passagers comme les employés », raconte-t-il.
Piloter une montgolfière, c’est une seconde nature pour le Français. Il avait 3 ans quand il a effectué son premier vol, aux côtés de son père. Pilote (et dénommé Jean-François) lui aussi, ce dernier a remporté des compétitions de ballon et été le coach de l’équipe de France. Il opère désormais sa propre entreprise, CocoBulle, à Tahiti, avec son épouse, Jacqueline. « Forcément, j’ai vite attrapé le virus, souligne le fiston. J’ai été très chanceux que mon père soit un excellent pilote et qu’il ne prenait aucun risque. Très jeune, j’avais donc un bon feeling des choses ».
À peine majeur, « Jeff » porte à son tour les couleurs de la France lors de compétitions internationales. Il fait partie des équipes qui remportent les championnats d’Europe en 2007 et du monde en 2008, sous la houlette de François Messines, sacré meilleur pilote de France à plusieurs reprises. « Il a été le premier Français à décrocher une coupe du monde, se souvient Jean-François Rigollet. C’était incroyable car je travaillais avec des gens qui avaient 40-50 ans. Moi, j’en avais 17-18. François Messines m’a montré comment composer avec les éléments. Il m’a enseigné qu’il fallait se battre pour un titre, même si on ne fait pas ce qu’on veut dans un ballon ».
En effet, comme il le rappelle à ses clients avant le décollage, le seul guide de la montgolfière est le vent. Le pilote ne peut que la faire descendre et monter à l’aide d’un brûleur qui chauffe l’air quand il est actionné. « C’est une très belle leçon de vie, poursuit le trentenaire. Il faut gérer les contraintes. On a beau vouloir faire les choses d’une certaine façon, la nature va nous donner un nombre limité d’options. Peu importe ce qu’elle nous offre, il faudra faire au mieux et s’adapter aux vents qui changent et à d’autres facteurs. C’est un beau challenge ! »
Dans sa vie aussi, il se laisse porter par le vent. Il a posé pour de bon ses valises à Vegas, ville où il passait ses vacances tous les ans avec ses parents, grâce à un coup du sort : une carte verte remportée à la loterie en 2016. Bien qu’il n’a pas cherché à travailler dans le monde du ballon, Vegas Ballon Rides lui a offert un job. Il était manager quand la société a mis la clé sous la porte. On lui a alors proposé de reprendre la petite affaire. Il a accepté car personne d’autre ne voulait le faire. « Je n’ai jamais cherché à avoir ma boîte de ballon à Las Vegas à 30 ans, dit-il, mais ce n’était pas une idée complètement folle non plus. Les éléments m’ont amené là où je suis aujourd’hui ».
Les vols aux aurores de sa compagnie, testés et approuvés par French Morning, valent la peine de se lever (très) tôt. Une fois déployé par l’équipe, le ballon s’élève tranquillement dans les airs. Plongé dans le silence absolu à plus de trois kilomètres d’altitude, on oublie rapidement la hauteur pour se perdre dans la beauté du paysage : le désert des Mojaves, le Grand Canyon au loin, les montagnes, le ciel coloré par le soleil émergent… « Jeff » Rigollet se tient debout au centre de la nacelle, aux côtés de bonbonnes de propane utilisées pour actionner la flamme régulant l’ascension et la descente.
De retour sur terre, un verre (ou plus) de champagne est offert aux passagers tandis que le pilote leur parle des racines françaises de la discipline. « Le site de vol est très sûr. La météo est bonne en général. Nous sommes au milieu de grands déserts. Il y a donc très peu d’obstacles. Le seul défi qu’on a, c’est que beaucoup de zones dans le coin sont protégées par l’État fédéral. On ne peut pas les survoler », observe-t-il.
Sur le long-terme, il s’inquiète de la possible multiplication des drônes de livraison dans le ciel des agglomérations. « Si l’aviation civile leur réserve des couloirs au-dessus des maisons, il va falloir franchir ces machines pour se poser. Ça va devenir compliqué au niveau de la sécurité. Comme nous ne sommes pas un objet dirigeable, on rend la vie des autorités difficile. Le sort des montgolfières n’est pas une priorité pour elles. Les drônes d’Amazon rapportent tellement plus d’argent que nous ! », souffle-t-il.
Malgré les défis, le Français ne « regrette pas un instant » d’avoir pris les commandes de Vegas Ballon Rides. « J’aurais pu me barrer en Arizona, prendre un contrat et être tranquille, mais je ne voulais pas que cette boîte disparaisse. Mes employés sont toujours là, et ce matin, dans la nacelle, j’ai encore accueilli quinze personnes qui ont vécu une matinée incroyable. »