C’est la hantise de tous les expatriés : recevoir le coup de fil annonciateur d’une mauvaise nouvelle, devoir sauter dans un avion pour accourir au chevet d’un parent malade, ou pire, ne pas pouvoir lui dire adieu avant ses derniers instants… Partir vivre à des milliers de kilomètres de sa famille, c’est prendre conscience, plus tôt que les autres, que nos êtres chers ne sont pas éternels.
Et même quand tout va bien, l’inquiétude n’est jamais loin. Le sentiment de passer à côté de leurs dernières années, la peur de les priver de leurs petits-enfants, les coups de fil et les voyages qui deviennent plus difficiles avec l’âge… Pour French Morning, des expatriés racontent comment ils ont vécu l’avancée en âge de leurs parents, depuis les États-Unis.
Le dilemme peut se poser avant même le départ. Férue de voyages et d’aventures, Marie, 33 ans, originaire de Normandie, a rejoint son mari américain en 2018 au Texas, après avoir longtemps pesé sa décision. « Je savais que je faisais un choix grave, car ma maman était atteinte d’un cancer. J’étais déjà partie 2 ans en tour du monde avec une amie, et je lui avais promis que je ne repartirai plus. C’est elle qui m’a encouragée, en me disant que j’allais le regretter si je ne partais pas » se souvient la jeune femme, aujourd’hui maman de deux enfants, dans le Colorado.
De même, quand Céline, 43 ans, a accepté de suivre son mari à San Diego, en 2019, la perspective de laisser ses parents âgés faisait partie de ses « freins ». Raison pour laquelle cette maman de 3 enfants ne transige pas sur le retour en France, « au moins deux fois par an », pour visiter parents et grands-parents. Et tant pis si chaque voyage ressemble à un marathon. « On pourrait visiter le Canada, toute l’Amérique du Sud et le Mexique, et au lieu de ça, on va deux fois par an à Charleville et Poitiers » plaisante-elle.
« Je me dis régulièrement que l’on s’est expatriés au pire moment, confie Céline avec franchise. Si on l’avait fait à 25 ans, nos parents seraient venus nous voir plus souvent. Si on l’avait fait dans 10 ans, ils n’auraient plus été là. Là, on est partis pile au moment où ils commencent tous à avoir des problèmes de santé. » Car ces dernières années, c’est seule et en urgence qu’elle a dû s’envoler pour la France, à plusieurs reprises, afin de se rendre au chevet de son père, malade.
Quand on vit loin et qu’une alerte grave arrive de France, le tourbillon émotionnel et logistique se déclenche. Un parent est hospitalisé et il faut d’urgence laisser conjoint et enfants, sauter dans un avion pour se rendre à ses côtés. Parfois sans savoir si cette visite sera ou non la dernière. C’est ce qu’a vécu Marie, à l’automne 2020, peu avant le décès de sa mère, en pleine pandémie.
« Nous avons exceptionnellement été autorisés à rentrer en France en faisant faire un passeport en urgence à mon bébé, et grâce à une lettre du médecin de ma mère. J’avais une mission : c’était de lui dire au revoir, témoigne la jeune femme. Je suis restée deux semaines, et elle est décédée trois mois plus tard, alors que j’étais rentrée aux États-Unis. Pour mes proches, c’était difficile de me voir dire adieu à quelqu’un qui n’était pas encore parti. Ma sœur me disait : “Mais tu vas la revoir, ça va aller.” Seuls les expats peuvent comprendre », estime Marie.
Une épreuve proche de celle qu’a traversée Céline. En octobre dernier, elle s’est envolée en urgence au chevet de son père, avant qu’il ne meure… Trois jours après son retour aux États-Unis. « J’ai passé dix jours à son chevet, c’était bien, se remémore-t-elle. Mais il perdait la mémoire depuis déjà longtemps. Il était à peine conscient. Je ne sais pas s’il a remarqué que j’étais là ou pas. Finalement, je l’ai fait surtout pour moi. Dans ces moments-là, on se sent bête quand on est à 24 heures et 2000$ de voyage… Heureusement, mon mari était à 100% derrière moi. »
Face à la maladie d’un proche, les expatriés ressentent souvent culpabilité et impuissance. Pour Céline, les mois qui ont précédé le décès de son père ont été particulièrement éprouvants. « Au téléphone, ma maman était épuisée, et je me sentais d’une totale inutilité… J’ai essayé de lui proposer de l’aider financièrement, pour qu’elle puisse se reposer pendant que quelqu’un se serait occupé de mon père, mais elle n’a pas accepté », confie la jeune femme.
Et même quand les parents et grands-parents vieillissent sereinement, avec l’âge, le lien peut se distendre, malgré nos efforts. « Même si je reviens très régulièrement en France pour le travail, j’ai l’impression qu’en étant loin, je perds des événements de vie, et ça crée de la distance dans la relation avec mes parents. Nous avons moins de choses à partager, d’autant que maintenant, ils ne viennent plus aux États-Unis, c’est trop loin pour eux » constate Stéphanie, qui vit en Californie avec son mari et ses deux enfants depuis 6 ans et demi.
Alors comment gérer ce tiraillement ? Depuis le décès de sa mère, Marie a appris à lâcher prise, en profitant à fond de ses retours en France, où elle pose désormais ses valises chez sa grand-mère adorée. « Pendant longtemps, j’ai essayé de rattraper le temps perdu et cela générait de la frustration. Maintenant, je n’essaie plus de rattraper les événements que j’ai loupés, mais de vivre dans le présent. Je rentre pour profiter des gens qui sont là et des moments qui viennent », affirme-t-elle.
De son côté, Céline accepte avec magnanimité cette tension entre la France et les États-Unis. « Cela fait partie du package de l’expatriation, reconnaît-elle. Maintenant, notre projet est tourné vers les enfants, et plus vers les parents, même si les voyages en France continuent à donner la forme de notre agenda annuel. » Un choix qu’elle ne regrette pas, au regard de leur « qualité de vie incroyable » en Californie : « Quand je vois mes enfants, heureux, bilingues, épanouis, je me dis qu’on ne s’est pas trompés. »
Publié le 21 avril 2024. Mis à jour le 24 avril 2024.