J’ai toujours rêvé d’un grand départ vers le Tintin d’Amérique de mon enfance. D’ailleurs aujourd’hui son affiche trône dans mon cabinet de psychothérapeute familiale ou je reçois enfants et adultes qui tous reconnaissent ce personnage remplit d’esprit d’aventure et de courage.
Etant née de parents Européens parlant plusieurs langues, très tôt, même du berceau, je parlais l’Anglais et le Français. Je ne me souviens plus si j’ai balbutié « Maman » ou « Daddy » en premier car je devais parler le Français à ma mère et l’Anglais à mon père, pas question de mélanger. Très vite j’ai compris la chance qui m’était offerte d’avoir un langage « secret » auprès des autres.
Ainsi j’ai grandi un peu différente et adaptable, m’intégrant dans un milieu Parisien intellectuel tout en pouvant faire rêver certains en obtenant sans difficultés des 18/20 en rédactions d’Anglais. Que d’alliances se sont crées autour de mon «talent linguistique».Par contre, je me souviens de mon professeur d’Anglais en 3e a l’Ecole Alsacienne, me regardant avec méfiance à chaque fois qu’il entamait une phrase un peu complexe. Complexe sans doute ce Cher Maître !
Poursuivant une Maitrise de Littérature et bien entendu d’Anglais à Nanterre, je vivais ma double identité discrètement, jouant du match point suivant les circonstances. Je voyageais de par le monde produisant mon joli passeport Américain couleur vert armée. Il suffisait à l’époque de le montrer d’une main légère au douanier pour passer sans le moindre timbre tamponné.
J’ai oublié de mentionner que dû au hasard des conflits mondiaux, je suis née aux Etats-Unis, ayant immigré à 2 ans en terre belge, puis néerlandaise pour arriver à Paris à l’age de 6 ans. Me voici devenue Française d’éducation et de cœur avec la coquetterie d’une vraie Parisienne, munie de ce fameux trésor que représentait à l’époque l’identité Américaine. J’hésite à révéler l’année, il suffit de dire que Sheila, Sylvie Vartan et Claude François passaient finalement du noir et blanc à la couleur sur le petit écran de la Chaîne 1.
Accélérons un peu le temps et me voici fiancée a un jeune loup avocat Français intéressé comme moi à explorer de nouveaux horizons. Aussitôt mariés, décision prise nous allions partir au pays de Walt Disney, cette Amérique qui résonnait en sirènes sur nos chaînes avec Miami Vice et Colombo et au cinéma avec Bonnie and Clyde et mon idole de jeunesse James Dean.
Sitôt dit, sitôt fait. Fièrement, je partis a l’Ambassade des Etats- Unis Avenue Gabrielle et en moins d’une heure nous en ressortions munis du billet de loterie tant convoite aujourd’hui, la carte verte pour mon époux. Ah tout de même, grâce à ce passage de la destinée, nous allions pouvoir partir 2 mois plus tard, juste a temps pour passer «New York au mois d’Août», trouver un appartement avant que ne commencent les cours à Columbia et me trouver un job pour faire tourner la marmite.
Nous avions bien décidé, bien précisé a nos familles et amis que le programme d’études durait 2ans et que donc ils pouvaient compter sur notre retour dans 2 années- pas plus- promis, juste à temps pour passer «Paris au mois d’Août», trouver un appartement et 2 jobs en faisant valoriser notre expérience d’expatriés triomphants.
Voyage romantique sur Air France, notre jeune couple se sépare de ses amarres familières avec l’enthousiasme et la fierté de se sentir à la fois privilégiés mais aussi courageux. Combien de nos amis l’auraient vraiment tentée cette aventure ? Combien auraient pris le risque de l’inconnu et intégrer La Big Apple- New York City- USA ?! Et bien nous le faisions, mon mari ayant diligemment approfondi sa connaissance de la langue en lisant un à un tous les Tintin mais version Anglaise- oui oui, ce n’est pas une blague.
Arrivés a JFK, appelée a l’époque Kennedy, les yeux rouges de fatigue traversant en taxi jaune le White Stone Bridge, toute l’Isle de Manhattan était baignée d’une lumière vive, pure, un ciel a la Magritte, a la fois éblouissante et intense. Nous étions ébahis par son étendue et les pointes d’aiguilles du Chrysler Building ou le Empire State Building, symboles uniques de cette ville.
Nous y étions, du haut de nos 27ans.
A peine descendus de l’avions, nous partons, valises à la main, visiter plusieurs appartements. En sortant du premier ascenseur je tombe face à face sur une vieille copine du circuit du golf Européen, arrivée 6 mois plus tôt. Nous avions déjà un numéro de téléphone et une invitation a dîner !
Au troisième appartement, nous étions décidés, nous allions être courageux, sans doute naïfs mais la vue du 26eme étage nous envoûtait trop. Nous allions faire fi des conseils de prudence, des rapports de violence, nous allions habiter au bord de Harlem. Je vous révèle l’adresse fatidique : 115 East 87th Street !! Mais je vous assure qu’à cette époque à trois blocks à gauche et deux tout droit, il fallait vraiment se tenir en éveil. Bien sûr, de l’autre côté, le calme de Park Avenue et à deux blocks Central Park. Ah j’oubliais nous avions aperçus aussi « Chez Dumas » une pâtisserie Française depuis lors disparue à deux pas de notre building. Affaire conclue.
Tout semblait si vite organisé, restait mon travail. Grâce aux vases communicants de Francophones me voici devenue professeur de Français de petits entre 5 et 6ans dans une école qui malheureusement n’existe plus : La «Fleming School», située à la 62e dans un superbe hôtel particulier. Chic chic, éducation bilingue avec un cursus qui conseillait l’apprentissage de la lecture en Français en premier, la recherche linguistique indiquant qu’il était plus facile pour des enfants en bas âge d’apprendre à lire en Français. La directrice, une Francophile dévouée et une pédagogue exceptionnelle accueillaient l’intelligentsia New Yorkaise souhaitant internationaliser leurs enfants. Des professeurs Américains ouverts et dynamiques et un groupe d’enseignantes Françaises souvent épouses d’expatriés formaient une unité de soutien et de découvertes journalières. Que d’heures passées a comparer l’approche scolaire, l’approche psycho/pédagogique, à analyser le comportement des parents, le manque de discipline ou du moins de rigueur, la disparité de l’effort et de la récompense et bien entendu le poids de l’argent et du cachet de la longue voiture noire attendant une gamine de 6 ans à la sortie entourée de nanny’s.
A ce propos, je n’oublierais jamais notre première soirée chez des Américains (trop peu ont suivi malgré le plaisir qu’ils avaient à dîner chez nous). Nous voici le vin blanc servi comme il se doit et les trois questions inévitables posées a chaque nouvelle rencontre : «Où habitez-vous ?» «Que fait votre mari ?» et «Quel est son salaire ?». Vous imaginez mon choc, ma consternation, mon balbutiement. D’un autre côté, je ne pouvais m’empêcher d’admirer qu’à chaque fois que je rencontrais une nouvelle personne, elle se souvenait immédiatement de mon prénom sans effort moi
jeune fille de bonne famille je pensais encore- Madame X ou Monsieur X….
Très vite voulant nous faire un cercle d’amis nous avons invités nos rencontres, nos voisins de pallier, des élèves de Columbia, des collègues vous devinez encore la suite. Nous avons créé un cercle merveilleux d’amis New Yorkais Francophones. Quel dommage je ne pouvais même pas faire preuve à l’époque de mon parfait bilinguisme! Nous avions sans l’appui inestimable des associations d’accueil qui existent aujourd’hui formé un groupe solide de jeunes couples expatriés comme nous par goût d’aventure, par ambition et ouverture d’esprit.
Un projet commençait à se formuler dans ma tête. Comment combiner ces deux mondes dans lesquels après tout moi je me sentais à l’aise, employer mes connaissances des deux cultures et devenir un tremplin, un support pour ceux qui semblaient moins bien gérer les transitions et les blocages dus aux différences linguistiques et culturelles. La psy allait naître…