Un bon ami – on l’appellera Sylvain – fêtait son anniversaire récemment dans son appartement cossu de Brooklyn. Il avait invité ses meilleurs amis pour sabrer le champagne, souffler les bougies et descendre le gateau au chocolat qu’il avait acheté chez Kayser.
L’anniversaire marquait aussi les sept ans de Sylvain à New York. Et en sept ans, force est de constater qu’il ne s’est pas fait beaucoup d’amis américains. Aucun des 30 invités chez lui ce soir-là n’était d’ici. Il y avait une Belge et un Sud-Américain francophone, mais le reste du contingent était bel-et-bien gaulois. Si bien que notre hôte ne s’est même pas gêné au moment du discours de remerciement: il l’a fait en français. Quand j’ai demandé à Sylvain si, au bout de sept ans, il n’était pas un peu déçu de ne pas avoir d’amis américains, il n’a pas cherché à se trouver d’excuses. “Qu’est-ce que tu veux ? Je m’entends mieux avec des gens qui ne sont pas Américains. C’est comme ça” .
Comment lui en vouloir ? Cela fait presque neuf ans que je vis à New York (dix ans aux Etats-Unis) et l’essentiel de mes amis sont français ou non-Américains. Les quelques bons amis américains que j’ai sont francophiles voire francophones parce qu’ils ont étudié ou travaillé en France. Sylvain et moi étions-nous les seuls dans cette situation ? J’ai été rassuré en voyant les résultats d’un quiz sur “quel type d’expatrié êtes-vous ?” que nous, à French Morning, avons publié récemment. Comme la plupart de ceux qui ont fait ce quiz (53%), je tombe dans la catégorie du “bobo biculturel tiraillé“, c’est-à-dire que malgré mes dix ans ici, j’ai toujours le cul entre deux chaises: j’aime les Etats-Unis, mais certains aspects de la France me manquent terriblement.
À la question “combien avez-vous d’amis américains ?” , les réponses sont encore plus édifiantes: 38% ont répondu qu’ils avaient “beaucoup plus d’amis français“, plus que les 27% qui ont dit avoir davantage d’amis américains. Bref, beaucoup d’entre nous vivons aux Etats-Unis, mais nous n’avons pas ou peu d’amis nés ici. Même les Français qui évoluent en marge de la communauté ressentent l’appel du pays à un moment donné. “J’avoue que ça me manque de ne pas être autour de Français, confie Nathalie, une amie qui travaille comme comptable dans une boîte américaine. Ça me manque de ne pas pouvoir m’exprimer dans ma langue, faire des blagues en français ou d’être comprise correctement. Au final, je reste profondément française” .
La science suggère qu’il est normal de se rapprocher d’individus qui nous ressemblent. Une étude publiée en 2011 dans la revue Group Processes & Intergroup Relations montre que plus un groupe est large et constitué de profils variés, plus on aura tendance à se rapprocher de personnes qui nous sont similaires. À l’inverse, plus le groupe est restreint, plus on aura tendance à se lier d’amitié avec des individus différents de nous. “C’est un résultat ironique: dans les environnements aux profils variés, on trouve des amitiés moins diverses” , résume la psychologue sociale Angela Bahns de Wellesley College et auteure principale de l’étude. On peut imaginer que les défis propres à l’expatriation (barrière de la langue, arrivée dans un environnement inconnu, normes sociales différentes…) renforcent cette dynamique.
On connaît l’argument typique avancé par les Français pour justifier leur faible nombre d’amis américains. Ces derniers seraient trop superficiels et pas intéressés de nous connaître en profondeur. Il y a peut-être du vrai là-dedans. Les Américains eux-même le reconnaissent. C’est ce dont on s’aperçoit en parcourant les nombreux “modes d’emplois culturels” mis en ligne par les universités américaines pour “expliquer” l’Amérique aux étudiants étrangers. Ainsi, selon l’Université de Floride (UF), “certaines cultures peuvent voir les amitiés entre Américains comme superficielles. Comme on leur apprend à être auto-suffisants et à vivre dans une société hautement mobile, les Américains tendent à éviter d’avoir des relations profondes avec beaucoup d’autres personnes. Par ailleurs, les Américains tendent à “compartimentaliser” leurs amitiés – ils ont des amis “au travail” , “à l’école”, au “tennis” , etc. Cela est vu par les étrangers comme une “impossibilité à être amis” . Ici, cela est vu comme une manière normale de maintenir son bonheur personnel dans une société mobile et toujours changeante. ”
L’explication peut prêter à sourire, mais elle nous dit une chose plutôt simple à comprendre: en venant aux Etats-Unis, ne vous attendez pas à vous faire des amis comme en France et changez votre approche si vous ne voulez pas rester seul. Que faire donc ? Faut-il succomber à la tentation de rester entre Français quitte à vivre dans une “bulle” ? Faut-il éviter d’autres Gaulois à tout prix ? S’acheter un chien ou avoir un enfant comme le suggère la BBC dans ses dix conseils pour se faire des amis aux US ? Ou venir à tous les rendez-vous Speak Easy de speed-speaking franco-américain organisés par French Morning ?
C’est Simbarashe, une étudiante zimbabwéenne aux Etats-Unis, qui a certainement le mieux décrit l’attitude à adopter. “Comme l’a dit l’une des mes écrivaines africaines favorites Chimamanda Ngozi Adichie, il n’y a jamais une seule et unique histoire sur un endroit ou une personne. Par conséquent, pour comprendre les autres, il faut s’autoriser à avoir de l’empathie pour les histoires qui les font voir le monde d’une certaine manière. Cela peut nous obliger à nous extraire de nos stéréotypes pour vivre de vraies expériences de vie et changer nos attitudes, écrit-elle dans un post de blog sur le site de Voice Of America. Je me suis donc fixé pour mission de me faire plus d’amis américains. Pour mon bien, je sens que je dois faire un effort concerté pour améliorer, mais aussi partager, ma conscience culturelle à travers des amitiés avec mes camarades américains. Non seulement cela élargira ma compréhension du monde, mais cela me permettra aussi de naviguer dans les eaux complexes de cette nouvelle société à laquelle j’appartiens maintenant” . Et, bien sûr, d’inviter plus d’amis à vos anniversaires.