Prévue dans le courant de l’année, la sortie du nouveau guide Michelin consacré au Sud des États-Unis suscite déjà la curiosité. Mais un détail n’a pas échappé aux observateurs : l’absence annoncée des restaurants de Virginie. Faut-il y voir la confirmation que le Old Dominion est de moins en moins perçu comme un État sudiste à part entière ? Ou bien un manque d’adresses à la hauteur des exigences du célèbre guide gastronomique ? En réalité, ni l’un ni l’autre. Que les gourmets se rassurent : la raison serait avant tout d’ordre financier.
Depuis plusieurs années, les éditions Michelin demandent pour certains de leurs guides une participation financière des agences de développement touristique locales. Une contribution non systématique (les guides de New York, Chicago et Washington DC n’ont pas été cofinancés) mais destinée, selon l’éditeur, à « couvrir une partie des coûts liés à l’établissement du guide » et à « financer des campagnes de communication ».
Une pratique surprenante, que Michelin justifie par les retombées économiques de leur ouvrage en matière de fréquentation touristique. S’appuyant sur une étude menée en 2019 par le cabinet Ernst & Young, le groupe tricolore explique : « Deux tiers des voyageurs fréquents choisiraient une destination bénéficiant d’un guide Michelin plutôt qu’une destination comparable qui n’en dispose pas. Par ailleurs, 57% prolongeraient leur séjour si une sélection Michelin est proposée, et 71% augmenteraient leurs dépenses. »
Des arguments de poids qui n’ont pourtant pas convaincu les responsables du tourisme de Virginie. La Virginia Tourism Corporation (VTC) aurait ainsi refusé de verser la somme demandée par l’éditeur (qui s’élèverait à 360 000 dollars soit 120 000 dollars par an pendant trois ans) pour figurer dans cette nouvelle édition, excluant de fait tous les restaurants de l’État du futur guide. Contactée, la VTC n’a pas souhaité commenter cette décision controversée auprès de notre rédaction.
Si le concept n’est pas nouveau (la Californie aurait déboursé 600 000 dollars en 2019 pour obtenir son propre guide), il soulève toutefois une interrogation de taille : ce modèle remet-il en cause l’indépendance éditoriale du guide Michelin ? Se voulant rassurant, le groupe français nous a affirmé que les partenaires « n’ont aucun contrôle sur le contenu de la sélection, ni sur les recommandations », et qu’ils « découvrent la liste des restaurants sélectionnés en même temps que les médias et les chefs », lors de la cérémonie officielle.
Les professionnels français de la restauration installés en Virginie sont-ils déçus de cette décision prise par la VTC ? C’est le cas de Celeste et Alain Borel, fondateurs de l’Auberge Provençale à White Post. Cet hôtel-restaurant de charme, niché dans la vallée de la Shenandoah, attire les amoureux de gastronomie française en quête d’une escale gourmande, depuis plus de 40 ans.
Par téléphone, Celeste Borel nous a confié regretter ce choix de la VTC, qu’elle perçoit comme une occasion manquée « de mettre en avant et de soutenir les restaurateurs de la région » soulignant qu’une entrée au guide Michelin est autant « une forme de reconnaissance » qu’une façon « d’augmenter les ventes et la fréquentation » d’un établissement.
Autre source d’incompréhension de la part de la restauratrice : la présence, dans le guide dédié à Washington DC, d’un seul restaurant situé en Virginie. En effet, depuis 2018, The Inn at Little Washington, établissement du chef Patrick O’Connell situé à plus de 100 km de la capitale fédérale, y figure en bonne place. Il a même décroché, en 2019, la distinction suprême des trois étoiles, rejoignant ainsi le cercle très fermé des 14 meilleures tables des États-Unis.
Une entorse géographique qui interroge et suscite quelque peu l’incompréhension de la restauratrice. D’autres exceptions seraient-elles envisageables ? À cette question, Michelin est resté évasif, expliquant simplement se réserver la possibilité « d’étendre ses découvertes aux alentours proches d’une ville si un établissement exceptionnel y est identifié ». Une politique éditoriale qui pourrait représenter une lueur d’espoir pour les restaurateurs de Virginie situés à proximité du District de Columbia, mais dont les contours restent incertains.
En attendant un éventuel changement de cap des autorités de Virginie, les talents culinaires qui y sont installés devront donc patienter encore un peu avant de faire leur entrée dans le mythique guide rouge.