Chemise blanche et cheveux bouclés bien ordonnés, Vincent Cassel arrive détendu et blagueur – « So what would you like to know? », lance-t-il aux journalistes– dans la chambre d’hôtel new yorkaise où doit se passer l’interview. Poignée de main franche et une disponibilité toute professionnelle, il est loin de l’extravagant Mesrine qu’il interprète (lire la critique du film ICI). Et pourtant, l’attrait pour les zones floues et ombrageuses est évident, il suffit de se pencher sur sa carrière. “La Haine” bien sûr, plus récemment son rôle de Kirill dans “Les Promesses de l’Ombre” de David Cronenberg, Vincent Cassel préfère la profondeur du mal. Au cinéma en tout cas.
Mesrine est un personnage intense. Comment avez-vous géré ce rôle ?
Comment je l’ai géré…. Ce n’est pas comme si j’avais vraiment eu le choix (rires). Une fois que vous dîtes oui à un projet comme ça… J’étais un peu inquiet et effrayé par la durée du tournage parce que je n’ai jamais travaillé autant (rires), je veux dire sur une si longue durée… Et donc j’avais peur de perdre ma concentration et finalement mon énergie, et puis tout simplement l’envie d’être sur le plateau. Mais c’est une des choses que j’ai apprises avec ce projet : je peux travailler plus que je ne le pensais ! Quand j’ai quitté le tournage, j’aurais pu continuer deux ou trois mois sans aucun problème. C’est vraiment une question de désir, si vous êtes excité par ce que vous faîtes, le temps ne compte pas vraiment.
Etiez-vous inquiet de rendre Mesrine un peu trop séduisant, un peu trop glamour?
Complètement. Depuis le début, c’était très clair avec le producteur (Thomas Langmann, ndlr) et encore plus avec le réalisateur et le scénariste qu’on ne ferait pas l’impasse sur son côté sombre : le côté raciste, la façon dont il traite les femmes… La première mouture s’était faite avec un autre scénariste et un autre réalisateur (Barbet Schroeder, ndlr). En fait le scénariste avait écrit Amélie Poulain et évidemment ce n’était pas la personne qu’il fallait pour écrire l’histoire. Quand on évoquait les méchants, il parlait tout de suite des flics et je disais « non ça ne marche pas comme ça, ça ne peut pas être noir et blanc comme tu veux le faire ». J’ai donc abandonné le film.
Et finalement, le film s’est fait avec une autre équipe…
Pour être honnête, je n’ai jamais pensé que le film se ferait sans moi. De mon point de vue, c’était juste du bluff. J’ai appelé le producteur et je lui ai dit « trouvons une autre équipe, un autre scénariste, un autre réalisateur et allons-y ». Il est revenu avec l’idée de Jean-François Richet que je connaissais car mon frère avait écrit la musique d’un de ses films. Il vient des cités. Et donc il avait ce type d’énergie, de colère et il connaissait le personnage parce que c’est une grande figure dans les banlieues. Et puis ils ont eu l’idée d’Abdel Raouf Dafri (scnénariste d’Un Prophète, ndlr) pour écrire le script. Lui étant d’ascendance nord-africaine, il ne voulait pas écrire l’histoire à cause de ce que Mesrine avait fait en Algérie pendant la guerre. Et ça m’a beaucoup plu. Je lui ai dit que c’était exactement la raison pour laquelle il devait l’écrire, parce que qu’il n’était pas un fan. Il a finalement accepté et m’a proposé un script de vingt pages. C’était génial parce que d’une page à une autre, on ne savait pas quoi penser du caractère. Il y avait beaucoup de contrastes et c’est ce que je recherchais.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
En premier lieu, je savais dès le départ que c’était un projet très intéressant : il est question de gangsters, de braquages et en plus Mesrine est une telle icône. Pour faire court, les riches n’aiment pas Mesrine, les pauvres l’aiment. Parce que c’est un rebelle, il est contre le système. Et puis il a littéralement été exécuté dans la rue, il est considéré par certains comme un martyr, même s’il ne l’était pas en réalité. Vous devez replacer tout cela dans son contexte. En 1978, un an avant de se faire abattre, il était l’une des célébrités préférées des Français. Il devancait tout le monde, les chanteurs, acteurs, politiciens…. Et un certain type de presse, de gauche, particulièrement Libération à l’époque, l’a élevé au rang d’icône du contre-pouvoir. Et il aimait ça, jusqu’au point où il a commencé à utiliser les médias et c’était plutôt moderne comme façon de faire. Il a pris cette posture de rebelle, mais je pense que c’était que du faux. C’était un prédateur.
C’est un point intéressant : la relation entre votre personnage et les médias. Les médias ont crée d’une certaine manière sa légende, c’est un aspect très controversé du film. Etait-ce important de souligner ce lien dans le film?
C’est très important parce que je considère que les médias sont responsables. Ils ont créé le personnage. Si ces journalistes de gauches ne l’avaient pas récupéré, il n’aurait jamais été aussi impliqué dans les médias de la manière dont il l’a été. A cette époque, peut-être parce que son ego était devenu surdimensionné, il a pensé qu’il faisait quelque chose de bien en tuant ce journaliste d’extrême droite. Il pensait que tout le monde lui dirait qu’il avait raison. Mais il avait oublié le corporatisme des journalistes. Là même l’opinion publique n’était plus là pour le protéger et il est devenu un marginal pour tout le monde.
Vous choisissez souvent des personnages très ambivalents, à plusieurs facettes…
Je pense que c’est la chose la plus importante à propos des personnages. Si vous voulez jouer et incarner des personnages, vous devez montrer les deux côtés, le sombre et le clair. Les gens disent que je joue tout le temps ce type de personnage ou tel autre. Mais la vérité c’est que si je dois jouer un gentil garçon, ce qui est plutôt rare, je ferai tout ce que je pourrai pour trouver son côté sombre et montrer sa complexité. Et si j’ai un « bad guy » à jouer, j’essaierai toujours de trouver ce qui est intéressant et pur chez lui. En fin de compte, tous mes personnages tendent à être un dégradé de gris et pas juste le gentil garçon ou le méchant mec. Et je pense que c’est la seule manière de représenter la vie en réalité.
Mesrine est un grand film de gangsters comme on peut en voir outre-atlantique. Vous pensez que le cinéma français peut rivaliser avec le cinéma américain ?
Oui il peut, c’est juste une question de distribution. Honnêtement je pense que la qualité des films est sûrement la même à travers les monde entier. Il y a d’incroyables films asiatiques, italiens, espagnols, mexicains ou brésiliens. Mais c’est juste une question de pouvoir les montrer. Et puis aussi si les gens sont suffisamment éduqués pour aller voir des films quand il y a des sous-titres. Je suppose qu’en Amérique, parce que l’industrie est si grande à tout niveau, les gens n’ont pas à faire cet effort. En tant que Français, j’ai été élevé en regardant les films sous-titrés. Et c’était quelque chose de normal, même les films japonais, je les regardais sous-titrés parce que je voulais entendre la voix des acteurs. Donc bien sûr on peut concurrencer, ça dépend où (rires). La France est l’un des seuls pays au monde à produire autant de films par an, 200 films. Et donc on a besoin de tous les types de films, les comédies de Gérard Depardieu, Jacques Audiard et Un Prophète, Garpard Noé et son génial Enter the Void.
Justement vous avez joué avec Gaspard Noé. On a l’impression que vous privilégiez les réalisateurs de votre génération comme Noé ou Romain Gavras, c’est un choix ?
Gaspard Noé est de ma génération. Romain Gavras est vraiment plus jeune, il a 28 ans. Il fait partie de Kourtrajmé et j’ai rencontré cette bande quand ils avaient 14 ans alors qu’ils tournaient déjà des courts-métrages. J’ai toujours été impliqué avec eux, peut-être à cause de leur énergie. Vous savez les gens parlent d’immigration et d’intégration… Ils sont liés à ça. Leur travail est vraiment créatif donc j’ai toujours travaillé avec eux et maintenant je produis même leurs films. Est-ce un choix de travailler avec des gens de ma génération? Oui ça a été un choix pendant longtemps, sûrement parce que mon père faisait partie de la Nouvelle Vague et tout ça. Je voulais vraiment m’inscrire dans ma génération et couper avec la tradition française du syndrome post Nouvelle Vague, revenir à quelque chose de plus formel avec des films comme La Haine (de Mathieu Kassovitz, ndlr), Irréversible (de Gaspard Noé, ndlr). Et ça a marqué un grand changement en France quand ces films sont sortis.
Vincent Cassel sera à l’affiche le 15 septembre en France de Notre Jour Viendra, premier film de Romain Gavras. Il fait également partie du casting du dernier film de Dominik Moll, Le Moine, et de la suite des Promesses de l’Ombre par David Cronenberg, intitulé A Dangerous Method.
Mesrine, L’Instinct de mort– sortie le 27 août et Mesrine, Ennemi public n°1 le 3 septembre.
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