Rome a sa villa Médicis pour stimuler la création artistique. Les États-Unis auront bientôt une “Villa Albertine”, qui permettra de mettre l’action culturelle française au goût du jour.
Annoncé en juin par le Quai d’Orsay, ce programme de résidence pour créateurs français sur le sol américain ne sera pas concentré dans un lieu, mais dans dix villes (Atlanta, Chicago, Houston, New York, Washington, Nouvelle Orléans, Miami, San Francisco, Los Angeles, Boston), où les Services culturels de l’Ambassade de France ont une présence. Objectif: permettre aux résidents de s’immerger dans des réalités et des réflexions locales très diverses (environnement en Floride, urbanisme à Chicago, technologie à San Francisco, exploration spatiale au Texas…). “Le modèle traditionnel des villas – un bâtiment unique dans une seule ville – se heurtait à la géographie profondément multipolaire des États-Unis. Nous avons dû régler la question: comment inventer quelque chose qui a la force d’une grande villa, mais qui a aussi le don d’ubiquité nécessaire pour emmener les résidents partout où ils envie et besoin d’aller“, explique Gaëtan Bruel, conseiller culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis et directeur de la Villa Albertine.
La réflexion autour de la création d’une villa française aux États-Unis remonte à une trentaine d’années, après l’inauguration au Japon de la Villa Kujoyama pour artistes français et nippons. Le projet a été relancé avec la pandémie et une première “villa locale” a été ouverte à San Francisco en août 2020 en guise de ballon d’essai.
Compte-tenu de l’importance des États-Unis dans “la géographie mondiale des arts et des idées depuis au moins la fin de la Seconde Guerre Mondiale“, la présence d’une résidence à l’échelle nationale s’imposait dans ce pays “qui est ce que l’Italie était sans doute au XVIIe siècle quand on a créé l’Académie de France à Rome, poursuit le conseiller culturel. La Villa Albertine est née dans un contexte de crise sanitaire. Et on est tous concernés par le changement climatique, l’accroissement des inégalités… Or, force est de constater que nous n’avons pas trouvé les réponses définitives à ces questions. Nous sommes convaincus que les créateurs et les penseurs ont des choses importantes à dire sur ces grands enjeux contemporains. La Villa Albertine reconnaît l’importance des États-Unis pour ces enjeux.”
La villa, dont le siège au sein des Services culturels à New York sera inauguré en septembre, est financée avec des fonds publics et privés (fondations FACE et Bettencourt-Schueller, donateurs privés…). Elle mobilisera quatre-vingt personnes, chargées de l’accompagnement des résidents pour une expérience “sur mesure“, en mettant à disposition les contacts et les ressources nécessaires à la réalisation de leurs projets (logement, transports, bureaux…). “Ce n’est plus au résident de s’adapter à la villa, mais à la villa de s’adapter au résident“, résume Gaëtan Bruel.
Soixante résidents arrivant aux États-Unis à partir de novembre (si l’ouverture des frontières le permet) feront partie de la première promotion. Parmi les sélectionnés, on trouve le photographe Nicolas Floc’h qui parcourra le fleuve Mississippi en bateau pour immortaliser les couleurs changeantes de l’eau dans le cadre d’une réflexion sur le changement climatique; l’écrivaine Constance Debré qui étudiera la contre-culture à New York; ou encore le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis qui voyagera entre New York, Chicago, Boston et Los Angeles pour préparer un film inspiré d’une figure du jazz… Compte-tenu de la nouveauté de la “villa”, aucun appel à projets n’a été réalisé pour cette première année, mais cela ne sera pas le cas pour les promotions suivantes. Les résidences dureront un à trois mois.
Les résidents ne seront pas tous hébergés dans des lieux permanents, comme le studio de la “Villa San Francisco” ou la Résidence de France à Washington. Certains logeront dans des appartements de location ou seront accueillis par des institutions partenaires et des hôtes américains francophiles (des producteurs, collectionneurs à Los Angeles, par exemple). Une manière d’éviter que les résidents ne restent dans leur Tour d’ivoire – et pour l’État de réduire les coûts de l’opération. “Même si la relation entre la France et les États-Unis est excellente, force est de constater que, sur le terrain culturel, les Américains regardent aussi vers d’autres géographies, comme l’Afrique et l’Asie. Et quand ils nous regardent, c’est parfois avec des malentendus qui peuvent être anciens, sur la laïcité ou la liberté d’expression par exemple, ou plus récents, sur les enjeux de diversité. Ils nous voient comme un pays où il fait encore bon vivre, mais qui a peut-être moins de choses intéressantes à dire que dans le passé”, explique Gaëtan Bruel.
Cette villa décentralisée et “hyper flexible” permet aussi d’assurer le “re-branding” des Services culturels, après soixante-dix ans de présence sur le sol américain et deux ans après l’entrée en fonction de Gaëtan Bruel. La villa continuera a développer les nombreux programmes d’accompagnement des professionnels de l’art, de la culture, des sciences et de la technologie déjà proposés par l’organisme, bras culturel de l’Ambassade, et lancera de nouvelles initiatives d’échanges, pour les créateurs de podcasts et les directeurs de musées notamment. “Pour renouveler le regard des Américains sur la France, il faut renouveler ceux qui incarnent la France aux yeux des Américains et notamment laisser les créateurs et les penseurs jouer ce rôle au premier chef. En tant que Services culturels, notre rôle n’est pas, n’est plus, de parler au nom de la France, mais plutôt de laisser la France s’exprimer dans toute sa diversité culturelle, conclut Gaëtan Bruel. La villa nous permettra d’aller plus loin dans ce travail de renouvellement non seulement du narratif culturel sur la France contemporaine, mais aussi de celles et ceux qui sont le mieux à même d’incarner ce narratif sur le terrain américain. Et les Français aux Etats-Unis ont ici un grand rôle à jouer”.