Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel. Aujourd’hui, Jennifer (lire son blog) en manque de France.
« Il y a douze ans de cela, j’ai rangé mon existence dans deux valises et je suis partie vivre aux États-Unis. Un billet simple en poche et l’être aimé à la clef. J’ai eu droit à trois mariages : une petite cérémonie avec nos familles à l’échéance de mon visa « fiancé », une grande fête en France, puis une autre enfin, aux États-Unis.
La France, ou du moins ma vie là-bas, était devenue un spectacle où tout était bien trop réglé, où tous ces lieux si connus et parcourus étaient devenus d’un ennui mortel, sans plus d’attrait ni d’émerveillement. Je voyais l’exil comme une porte de sortie, une libération. Nous avons d’abord vécu à Portland, puis à Dallas. Le Texas est très cosmopolite, jeune. Les Texans sont sympas et accueillants.
Mais j’ai tout de suite été désorientée. Outre le fait de devoir réapprendre toutes les normes et règles de mon pays d’accueil, mon plus grand bouleversement a été de sentir combien la France me manquait. Non pas dans l’esprit ou dans le cœur. Mais dans ma chair, à travers mes cinq sens. Les vieilles pierres, le goût des choses, du pastis… Par exemple, à Dallas, les gens ne fument pas, ne se parfument pas. Comment se rappeler ses amis, sans l’odeur d’une cigarette ? Ou d’un ancien amour, sans le souvenir de son parfum ?
Je voudrais entendre les heures marquées par la cloche de mon village, sans plus avoir à porter d’Apple Watch. Reconnaître la marque d’une lessive d’un linge qui sèche au soleil ou ressentir l’explosion de saveurs d’un bœuf bourguignon qui sature les couloirs d’un vieil immeuble.
Alors, bien sûr, chaque été, il y les six semaines passées en France et le rechargement des batteries. De nouveau les vieilles pierres, les tomates qui ont du goût et puis le silence – selon ma famille française, il semblerait que nous soyons devenus « bruyants comme des Américains ». Cela devrait me suffire, en théorie. Sauf que non. Les batteries se vident très vite, les souvenirs s’effacent. Les sens restent en éveil jusqu’à novembre, mais avec l’hiver, c’est vraiment difficile.
Qu’est-ce qui me manque ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Lorsque je parle avec des Français de Dallas, ces retours ponctuels leur suffisent. Car je ne me verrais pas du tout revenir en France. Ma vie est ici. Mais alors, comment faire pour répondre à ce manque ?»
Merci pour votre témoignage, Jennifer. Michelle Larivey dans La puissance des émotions, ne parle pas du manque mais de la nostalgie.
Qu’est-ce que la nostalgie ?
« La nostalgie est une forme de tristesse qui a trois caractéristiques : son intensité est peu élevée; elle est reliée à une situation de vie passée qui était satisfaisante à plusieurs égards; elle est déclenchée par des situations ou des gestes précis dont on a gardé un bon souvenir.
À quoi sert le sentiment de nostalgie ?
Comme la tristesse, la nostalgie indique un manque sur le plan affectif. Il ne s’agit pas d’un manque intense ni de toute première importance, mais néanmoins de besoins en souffrance. Avoir la nostalgie de son pays, c’est éprouver un manque par rapport à un certain nombre de choses agréables de ce pays-là. La nostalgie des vacances est avivée par la soudaine absence d’activités, de contacts ou de manières de vivre vivifiants.
Que faire avec la nostalgie ?
La manière dont je formule mes besoins donne l’impression que ce n’est qu’en retrouvant la situation d’antan que je pourrais les combler. C’est la dimension paralysante de la nostalgie. Si, au contraire, j’évoque mes souvenirs en cherchant à identifier les éléments qui rendaient cette situation aussi satisfaisante, je puis sortir de l’immobilisme. Cela me donne l’opportunité de rechercher, voire de reproduire, au présent, les facteurs qui sont susceptibles de contribuer à ma satisfaction.
Une fois n’est pas coutume, nous n’avons pas trouvé de livres pour adultes dans notre bibliothèque de développement personnel traitant spécifiquement des cinq sens, alors qu’ils sont très nombreux pour les enfants.
Vous n’êtes pourtant pas la seule à vivre cette expérience.
Voici un extrait de l’entretien que le journaliste et auteur Jean-Paul Kauffmann – détenu en otage pendant 3 ans – a donné pour la revue Hermès :
« L’olfaction joue un rôle essentiel dans mes livres. Tout est parti du milieu d’où je viens. Mes parents étaient boulangers-pâtissiers dans une commune d’Ille-et-Vilaine. J’ai baigné dans un univers d’odeurs d’une richesse extraordinaire. L’odeur du pain, les effluves du four, le parfum des différentes pâtes à gâteaux et des crèmes s’entremêlaient, émettant chacun leur arôme comme les instruments d’un orchestre. Dans cet ensemble symphonique, je m’évertuais à reconnaître et à identifier les notes. Un exercice d’élucidation qui était aussi un jeu. Mais ce n’est pas le tout de débusquer une odeur, encore faut-il savoir la communiquer à autrui. Dans le vin, le plaisir de la dégustation est avant tout celui du partage. Exprimer ses sensations, les échanger augmente le plaisir. (…)
J’essaie de déterminer l’odeur des lieux que je décris. Dans mon livre sur les églises fermées de Venise, je me suis évertué à décrire l’odeur de chacun de ces sanctuaires. L’odeur de salpêtre et d’humidité prédomine, mais ce n’est pas suffisant. Il faut être plus précis. C’est là que les difficultés commencent. Rien de plus délicat que de faire partager une sensation olfactive. Nous sentons chacun à notre façon, très différemment, alors que nous voyons en gros les mêmes choses. On ne peut procéder que par analogie ou métaphore. Dans certains de ces édifices flotte ainsi une odeur de paraffine, qui est peut-être la trace de bougie. Ailleurs, j’emploie une expression telle qu’une « odeur jaunie ». A priori, cela ne veut rien dire, je veux simplement faire passer l’idée d’une odeur fanée, un peu usée, qui garde la trace lointaine de sa fraîcheur et de son éclat originels. Ces églises où l’air et la lumière ne pénètrent pas, où le temps s’est compressé, emprisonnent un champ olfactif absolument extraordinaire. »
📆 On se retrouve en janvier. Bonne année !
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