Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le récit de Pauline, pas du tout prête pour New York.
« Mon installation à New York fut brutale, presque anxiogène. Je n’en étais pourtant pas à ma première expatriation. Mais cette fois, c’était différent : on m’avait menti sur la marchandise, j’avais atterri bien loin des paillettes et du rêve américain.
Deux mois plus tôt, tout s’était enchaîné. Mon mari s’était vu proposer une mutation. Après 4 ans au bureau de Londres, il était attendu de l’autre côté de l’Atlantique. On en avait parlé évidemment, mais peu : pour lui, comme pour moi, c’était une évidence. On avait repris une bouteille de Chianti ce soir-là, dans notre Q.G. Italien de Primrose Hill, on avait trinqué à ce nouveau départ, on s’était mis à fantasmer…Partir vers l’inconnu, tous les deux, reconstruire quelque chose ensemble, là-bas au centre du monde. C’était à la fois effrayant et grisant, comme un jour de rentrée scolaire. J’aimais notre statut d’expat’ et tous ces recommencements. J’étais sereine, et lui plus amoureux encore depuis que j’avais dit oui, une bruschetta à la main.
La semaine suivante, on apprenait avec surprise que notre rendez-vous à l’ambassade était confirmé. Ces choses-là prennent d’habitude une éternité… Notre départ était imminent, le mois prochain sûrement. Je quittais précipitamment une ville que j’aimais encore ardemment : mon départ fut aussi déchirant que mon arrivée douloureuse.
Toujours en deuil de mon amour perdu, j’étais comme insensible aux charmes de Gotham. Son odeur fétide d’urine et de poubelles m’écœurait, ses tours m’étouffaient. Les climatisations qui dégoulinaient sur les surfaces d’immeubles délabrés me dégoûtaient. Le bruit de fond constant des automobilistes colériques me martelait le crâne. Les looks excentriques des énergumènes faussement tendance de Greenpoint me crispaient. Je devinais peu à peu l’escroquerie dont j’avais été victime, bien trop tard pour pouvoir entamer une quelconque procédure judiciaire. J’avais signé, j’étais consentante.
Mon processus d’adoption de la Big Apple s’est avéré plus complexe que je ne l’avais imaginé. Quand ma fille est née neuf mois plus tard, je me souviens avoir posé sur elles un regard doux et ému. J’avais surmonté mes peurs et mes incertitudes, j’avais appris à aimer les tares qui les rendaient uniques. Les premiers mois, le rythme diurne d’Adèle avait fait de moi un oiseau de nuit, qui se complaisait dans la ville qui ne dort jamais, là où tout était possible. Mes journées, elles, étaient lentes et agréables : j’appréciais le climat doux de la côte est, la mousse légère des Cappuccinos à emporter, les rues momentanément fermées pour tournages de films; la liberté qu’ont les inconnus à se complimenter dans le Subway, les Lox Bagels qui coupent les faims les plus extrêmes, et les balades en City Bike le long de l’Hudson River…
J’avais, sans le savoir, expérimenté le « You can do it » à l’américaine, pour lequel il n’y a pas de mode d’emploi. Ces choses-là on les vit, elles ne se racontent pas. Venez ! Vous comprendrez ! »
La réponse de French Morning
De toute évidence, Pauline, vous avez éprouvé de la déception à votre arrivée. Voyons tout d’abord ce que dit Michelle Larivey dans La puissance des émotions sur la déception que vous ressentez.
Qu’est-ce que la déception ?
« La déception n’est pas une émotion en elle-même. Elle indique mon insatisfaction, mais se distingue de celle-ci par sa cause : un espoir ne s’est pas réalisé. Je suis déçue dans mes attentes.
Cela dit, la déception, comme l’insatisfaction, s’accompagne toujours d’émotions. Je suis déçu avec un sentiment de tristesse, déçu et en colère, ou les deux à la fois; je suis déçu et découragé, jaloux, etc. »
À quoi sert la déception?
« Il n’y a pas de déception sans attentes préalables, que celles-ci aient été explicites ou non. C’est l’écart entre mon attente et ce que je vis qui produit ma déception. La déception me permet donc d’identifier mes attentes avec précision. Ce qui peut être une première étape pour me permettre de définir plus clairement mes besoins et de préciser dans quelle mesure j’en porte la responsabilité ou je la fais porter à d’autres. Pour toutes ces raisons, les émotions liées à la déception sont d’un grand secours et il est utile de les ressentir. »
Que faire avec la déception ?
« La solution n’est certes pas de ne plus attendre, comme il est à la mode de le recommander. Les attentes ne sont pas réellement contrôlables, car elles relèvent du désir. Or, le désir est inhérent à la vie des êtres, qui ont une capacité de représentation et d’anticipation. Ignorer le désir, c’est supprimer l’un des moteurs qui nous poussent à nous mobiliser pour satisfaire nos besoins, y compris nos besoins d’actualisation en tant que personne. C’est pour ne pas souffrir que nous décidons de limiter nos attentes. Mais c’est la peine qui, même si elle est difficile à vivre, me renseignera sur mon besoin.
M’arrêter pour vivre ma déception m’aidera aussi à identifier le réalisme de mes attentes. Si nécessaire, je pourrai aussi m’interroger sur la part qui me revient dans le fait que mes attentes soient déçues. »
Même si vous avez, Pauline, le sentiment d’avoir « raté » votre première rencontre avec New York, cet « échec » est plein de vertus, comme nous l’explique Charles Pépin dans son célèbre Les vertus de l’échec.
« Le sens étymologique du mot crise, qui vient du verbe grec « krinein » signifie « séparer ». Dans une crise, deux éléments se séparent, créant une ouverture, un espace dans lequel il va devenir possible de lire quelque chose. Au sens propre, une faille : une ouverture qui donne à voir. Les Grecs utilisaient le terme « kaïros » pour désigner ce moment où le réel se révèle à nous de manière inédite, « kaïros » pouvant se traduire par « occasion favorable » ou par « moment opportun ». Affirmer que la crise est un « kairos », c’est la voir comme une occasion de comprendre ce qui était caché, de lire ce qui était recouvert. Le « mode échec » est souvent le point de départ d’une réflexion, d’une compréhension. Il ouvre des questions que nous ne nous serions pas posées. Qui ne s’est jamais retrouvé en panne, en rase campagne, à ouvrir le capot de sa voiture, se demandant pour la première fois comment marche un moteur ? Ici encore, c’est quand cela ne marche pas que nous nous demandons comment cela marche. Reconnaissons que nous ne posons pas cette question lorsque nous roulons à grande vitesse et que la route défile sous le soleil. Tout a notre ivresse, nous nous laissons porter. La sagesse de l’échec commence par la première panne : le capot s’ouvre comme une fenêtre sur le fonctionnement du moteur.
Nos crises existentielles nous livrent le même enseignement. Une crise de couple est souvent l’occasion de mieux comprendre ce à quoi l’un et l’autre aspirent, sur quelles bases ils peuvent – ou pas – être heureux ensemble. Et qu’est-ce qu’une dépression sinon une invitation, particulièrement douloureuse, à ouvrir une fenêtre sur ce que nous ne voulons pas voir ? C’est même probablement la fonction de la dépression : nous forcer à nous arrêter pour nous interroger sur nous-mêmes, sur l’écart entre notre existence et ce que nous en attendons, sur nos dénis, nos désirs inconscients.
Combien d’entre nous ne se sont jamais interrogés sur leur inconscient avant de connaître cet effondrement psychique ? Il semble qu’il faille, ici aussi, que cela ne marche pas pour que nous daignions nous demander « comment ça marche ». Les symptômes de la dépression indiquent qu’il y a, « sous le capot » de la conscience, quelque chose à éclaircir, à déchiffrer, ou à entendre. Ce peut être alors le début d’une aventure salutaire, le commencement d’une psychanalyse qui nous rendra plus conscients de nous-mêmes, plus lucides sur notre complexité, en un mot plus sages.
La dépression aura été le « kaïros », le moment d’ouvrir la fenêtre sur l’énigme de notre intériorité. »
📆 Retrouvons-nous dans 15 jours.
✉️ En attendant, envoyez-nous vos histoires et vos questions à l’adresse : [email protected].