Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres et de revues sur l’épanouissement personnel. Illustration Clémentine Latron.
Cette semaine, découvrons l’histoire de Clara, dont l’expatriation s’accompagne de beaucoup de solitude.
« Je m’appelle Clara, j’ai 30 ans et je vis en Californie depuis six ans. Avant cela, j’avais vécu à Melbourne, puis à Hong Kong. Des expériences marquantes, enrichissantes, mais qui m’ont aussi fait comprendre une vérité difficile à accepter : la solitude fait souvent partie de cette vie d’expatriée que j’ai choisie. Aujourd’hui, j’ai envie de partager mon histoire, non pas pour me plaindre, mais pour poser des mots sur ce sentiment qui, je crois, touche plus d’entre nous qu’on ne le pense.
Quand j’ai quitté la France, à 24 ans, c’était avec l’envie de découvrir le monde, de me dépasser. Et, à bien des égards, j’ai réussi. J’aime cette vie faite de changements, de nouveaux horizons. J’aime la sensation de repartir de zéro, de réinventer mon quotidien. Mais ce mode de vie a un prix, plus subtil, plus profond : l’absence de véritables attaches.
À force de bouger, on apprend à ne plus trop s’investir émotionnellement. J’ai vu des amis partir. J’ai moi-même souvent laissé des amitiés derrière moi. Aujourd’hui, je m’entoure surtout de la communauté francophone, parce qu’elle me rappelle un peu ces racines que je n’ai plus ici. Mais même là, tout reste en surface. C’est comme si chacun portait cette même pudeur, ce même détachement, par peur de trop s’attacher dans une vie qui reste souvent temporaire. Du coup, je fréquente souvent des étudiants. Mais je suis un peu vieille pour ça.
Je vis seule, sans conjoint, sans enfant. Libre ! C’est un choix. Enfin, c’est ce que je dis. Je construis une carrière plutôt sympa, mais le soir, je fais du babysitting. Pas pour l’argent. Pour rencontrer du monde. En y réfléchissant, je crois que la raison principale de mon isolement est intérieure. Je suis quelqu’un de discret, réserve, même si je reste profondément attachée aux liens humains. J’aime écouter, être présente pour les autres. Pourtant, ces dernières années, je me suis fermée. Après plusieurs déceptions, après avoir vu des amitiés s’effacer avec la distance, j’ai fini par me protéger. Pourquoi s’investir si c’est pour, tôt ou tard, devoir se dire au revoir ? Ce détachement est devenu une carapace. Plus sécurisant, mais plus lourd à porter aussi.
En début d’année, j’ai pris une résolution : écrire mon histoire. Non pas pour me plaindre, mais pour rappeler que la solitude n’est pas une fatalité, même dans une vie que l’on a choisie et que l’on aime. Derrière les photos de voyage, derrière les apparences de liberté et d’aventure, il y a aussi des moments de doute, des silences pesants, des soirées où l’on se demande si l’on compte vraiment pour quelqu’un ici.
Aujourd’hui, j’essaie d’apprendre à m’ouvrir de nouveau. À accepter que les liens, même éphémères, valent la peine d’être tissés. Et peut-être qu’en partageant ces mots, je commencerai enfin à briser cette solitude. »
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage, Clara. Dans un article très complet, Marie-Noëlle Schurmans, docteure en sociologie, passe en revue non pas la solitude, mais les solitudes. Voici le résumé de ce qu’elle écrit sur la solitude du « retrait volontaire ».
« Les solitudes dites “ initiatiques ” sont souvent décrites comme des expériences personnelles profondes, marquées par le fait de quitter son environnement familier, que ce soit par un voyage réel ou symbolique. Ce type d’expérience est associé à une forme de mise à l’épreuve de soi, une manière de se dépouiller de ses repères habituels et de ” se désapproprier des habitudes “, permettant un retour à l’essentiel. Ce processus implique de ” balayer son vernis culturel ” et de se confronter à un nouvel environnement, souvent ressenti comme déstabilisant, mais aussi propice à la réflexion intérieure.
Le déplacement géographique devient ainsi une métaphore d’un cheminement intérieur, favorisant l’introspection et la découverte de soi. Cette désorientation contrôlée permet d’explorer des territoires inconnus, qu’ils soient extérieurs ou liés à sa propre intériorité. L’objectif est de tester ses limites, de mesurer ses forces et, par là, d’acquérir une meilleure compréhension de soi.
Ces expériences initiatiques conduisent progressivement vers des formes de solitude plus maîtrisées. Elles enseignent la capacité à entrer volontairement dans des moments de retrait, non pas subis, mais choisis, servant de source de ressourcement personnel. Elles aident également à mieux gérer les ” solitudes du rejet “, lorsque l’on fait face à des pertes ou des ruptures. En s’appuyant sur ce vécu introspectif, l’individu peut affronter la souffrance sans s’y laisser submerger totalement.
Finalement, ces solitudes initiatiques se révèlent précieuses sur le plan symbolique. Elles constituent une ressource intérieure, un ensemble d’expériences vécues et de repères émotionnels, mobilisables même dans des situations non intentionnelles de solitude. Elles apportent donc une richesse personnelle durable, favorisant la résilience face aux épreuves de la vie. »
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