Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le récit d’Emilie qui a le sentiment de perdre sa langue d’origine.
« En rangeant mes affaires, je suis tombée sur mon mémoire de maîtrise qui remontait à un bon paquet d’années. J’étais alors en lettres modernes et mon travail portait sur la symbolique du « vous » chez Michel Butor dans le roman La Modification. Autant vous dire que j’avais complètement oublié jusqu’à l’existence du dit Michel – qui est mort, d’ailleurs, comme je viens de le découvrir, depuis pas mal de temps.
J’ai feuilleté quelques pages de mon mémoire, comme ça, sans vraiment me reconnaître. C’était une autre moi. Pas tant à cause du sujet à des milliers de kilomètres de l’activité que je mène aujourd’hui, commerciale dans les cosmétiques, mais parce que, bon sang ! C’était bien écrit ! Je me suis impressionnée avec d’autant plus de modestie que je serais bien incapable aujourd’hui d’une telle prouesse. Qu’était devenu mon français ?
Ça m’a un peu démoralisé, en fait. Comme lorsque vous confrontez vos rêves de jeunesse à votre vie d’aujourd’hui. Il n’en reste pas grand-chose et c’est triste. Je n’avais pas l’intention de devenir romancière. Mais j’aimais écrire. Et j’écrivais bien. C’est toujours à moi que l’on faisait appel pour les discours de mariage, les toasts, les remerciements.
Mais après dix-sept ans aux États-Unis, mariée à un Américain, ma langue maternelle en a pris un sacré coup. Elle existe toujours. Je la pratique quotidiennement avec mes enfants et tous les étés avec mes parents. Mais qu’elle s’est appauvrie ! On dirait une vieille peau toute sèche qui aurait besoin d’être hydratée. Ce n’est pas le fait de chercher mes mots, de les remplacer par de l’anglais. Ça c’est normal. Le cerveau est ainsi fait. Cela relèverait plutôt de la grammaire. De son incomparable richesse.
Alors, oui, l’anglais est plus efficace, direct, rapide. L’anglais a tellement d’avantages et je le maîtrise parfaitement, presque sans accent. Mais où est ma mangue maternelle, celle de Molière, de Proust et de Flaubert ? Est-ce que je l’ai perdue ? Et si oui, est-ce pour toujours ? »
La réponse de French Morning
Merci, Emilie, pour votre témoignage. On tient à vous rassurer tout de suite : vous n’êtes pas la seule à avoir le sentiment de perdre votre langue maternelle. Selon le site de traduction MyBrian :
« Lorsque l’on quitte son pays de naissance, l’utilisation de sa langue maternelle se fait plus rare. De ce fait, on peut en oublier des morceaux. On appelle cela “l’attrition de la langue”. L’oubli de sa langue maternelle est progressif, le locuteur aura plus de mal à former des phrases ou à mobiliser son vocabulaire à l’instant t. Le fait que le vocabulaire ne vienne pas spontanément, signifie une dégression de la pratique. L’éloignement géographique est l’une des principales causes de cette “dérive” »
Mais peut-on littéralement « perdre sa langue ? » La réponse de BBC News, traduit par Courrier International est sans ambiguïté :
« Pour les enfants de moins de 12 ans, la réponse est oui. À cet âge, le cerveau est “flexible et malléable”. Les connexions entre les neurones ne sont pas encore figées, ce qui permet d’apprendre, mais aussi de désapprendre, une langue rapidement. Des études ont ainsi montré que les enfants adoptés dans un pays tiers avant l’âge de 9 ans oublient souvent la langue qu’ils parlaient dans leur pays natal. Chez les adultes, perdre complètement la maîtrise de sa langue est beaucoup plus rare. »
Ouf ! Mais que se passe-t-il dans notre cerveau ? Selon l’article de Madeleine Schwartz pour le New York Times :
” Lorsque vous avez deux langues qui vivent dans votre cerveau, explique Monika S. Schmid, spécialiste de l’attrition linguistique à l’Université de York, chaque fois que vous dites quelque chose, chaque fois que vous prenez un mot, chaque fois que vous composez une phrase, vous devez faire un choix. Parfois, une langue l’emporte. Et parfois, c’est l’autre qui gagne. Les personnes bilingues, dit-elle, ont tendance à devenir très, très douées pour gérer ce genre de choses et utiliser la langue qu’elles veulent sans trop d’interférence entre les deux. Mais même ainsi, il y a souvent un prix à payer : l’accent, la grammaire ou un mot qui ne sonne pas tout à fait juste.”
Et qu’en disent les scientifiques ? Il y aurait plusieurs effets :
En premier lieu, on parle de « réorganisation neuronale » : le cerveau est très plastique, ce qui signifie qu’il peut se réorganiser en fonction des expériences et des besoins. Si une langue n’est pas utilisée régulièrement, les réseaux neuronaux qui la gèrent peuvent devenir moins efficaces.
Il existe ensuite une « compétition pour les ressources cognitives » : le cerveau a des ressources limitées en termes d’attention et de mémoire de travail. Si ces ressources sont majoritairement utilisées pour une nouvelle langue, cela peut diminuer la capacité à utiliser et à accéder efficacement à la langue maternelle.
Enfin, le cerveau est sujet à un « déclin de l’activation des aires linguistiques » : les études d’imagerie cérébrale montrent que les aires du cerveau associées à une langue spécifique peuvent être moins activées lorsque cette langue n’est pas pratiquée régulièrement. Cela reflète une diminution de la familiarité et de la facilité d’utilisation de la langue.
Notre conclusion : lisez French Morning tous les jours !
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