Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le récit de Séverine qui s’offre des parenthèses enchantées dans la ville qu’elle a quittée.
« Nous sommes arrivés il y a un peu moins d’un an et je n’ai pas réussi à couper le cordon avec mon pays, ma ville, mes amis, ma famille. Je vis à Houston, dans une ville sans quartier ni piéton ni trottoir. Une ville de malls, de voitures et de barbecues. Je suis belge. J’aurais pu écrire la chanson d’Angèle « Quand le ciel gris et la pluie me manquent, je vais mieux quand j’te vois / Les villes sont belles mais moi je ne pense qu’à toi / Quand mon pays et ma ville me manquent, moi, je ne t’oublie pas. » Bruxelles, mon amour.
Je pensais que ce serait plus simple, plus facile. Je n’avais pas bien évalué mon attachement. Je me croyais plus forte, plus indépendante. J’imaginais que la nouveauté suffirait, que le soleil m’enchanterait. C’est idiot, n’est-ce pas ? Je culpabilise. Quelle cruche ! Est-ce qu’on n’est pas censés être ouverts au monde, nous autres, expatriés ?
Mais vous avez sans doute plus d’expérience que moi. Vous êtes probablement de vieux routards. Vous avec fait Singap, Hong Kong. Vous êtes passés par Tokyo et SF. Alors la petite Belge et sa ville pluvieuse… Pas très glorieux, n’est-ce pas ?
J’ai dû m’inventer des prétextes pour revenir. Je n’assumais pas. J’ai gardé une activité à Bruxelles qui réclamait ma présence. Pas sûre que mon mari ait été dupe. Il me voyait bien dépérir, genre une fleur dans un bocal sans eau. Il m’a dit « Bien sûr. C’est important. On ne peut pas tout résoudre par Zoom. Vas-y ! Je m’occupe de tout. »
Je suis partie une semaine. Quel bonheur ! (La vraie expression, ce serait plutôt « Quel pied ! ») J’ai écrit au début de mon histoire « couper le cordon » et là, on peut vraiment parler de régression. J’ai fumé – sans avoir à me cacher – clope sur clope. J’ai bu comme un trou (pardon à vous, amateurs de grands vins) mais j’ai aussi beaucoup marché. J’ai dîné à pas d’heure. Et je ne parle pas d’une dînette entre copines ni d’un truc commandé chez l’Indien. Mais de vrais repas, où l’on refait le monde, où tout le monde n’est pas rentré chez soi à 21h30.
Je ne sais pas si c’était une bonne idée. Je suis revenue encore plus déprimée. Mon shoot n’a pas dépassé la douane. Le manque s’est réveillé dès l’avion posé sur le tarmac. Résultat : je culpabilise encore plus. Mon mari a été sympa. Depuis que je lui ai parlé de ma régression, il s’est mis en tête de reproduire à la maison « l’ambiance Bruxelles », comme il l’appelle. Et il y arrive très bien. Mais je ne vais pas pouvoir résister bien longtemps à l’appel de ma bonne vieille ville pluvieuse…»
La réponse de French Morning
Apparemment, vous vous sentez contrainte dans votre nouvelle vie et pas tout à fait prête pour les grands changements qu’implique l’expatriation. Voyons tout d’abord ce que dit Michelle Larivey dans La puissance des émotions sur la notion « d’emprisonnement ».
Qu’est-ce que se sentir « emprisonné » ?
Il est impossible de ressentir « l’emprisonnement » comme on ressentirait une émotion telle que la tristesse ou la colère. Dire “Je me sens emprisonné” est une façon de parler : je me sers d’une image pour tenter de décrire mon expérience aussi exactement que possible.
C’est une métaphore.
À quoi sert de se sentir « emprisonné » ?
Nous avons constamment recours à des images pour décrire notre expérience. Ce n’est pas un hasard, car les images, qui nous donnent un aperçu détaillé et profond de ce que nous vivons, nous permettent de saisir notre expérience dans des aspects et des nuances qu’il est utile de connaître. Une image, même sans émotion, nous donne une information sur notre expérience.
L’idée d’emprisonnement évoque la liberté perdue.
Mais il reste indispensable de cerner la ou les émotions qui font partie de l’expérience représentée par cette image. “Je suis emprisonné dans cette relation et j’ai peur d’en sortir” exprime un vécu différent de “Je vis cette relation comme une véritable prison, mais j’y trouve tellement d’avantages que je ne me résous pas à rompre”. Ces deux expériences sont totalement différentes en nature et conduiront à des actions différentes. »
Dans son livre extraordinaire sur le changement, Qu’est-ce qui nous fait vivre? Vincent Deary nous parle de la difficulté de « rester en place », difficulté exacerbée par la situation de l’expatrié.
« Chaque jour, chacun de nous est le siège d’un dialogue entre confort et malaise. À chaque instant de chaque jour, notre Automatique travaille dur à nous garder dans les très étroits paramètres où la vie humaine est vivable et confortable. Il y a une myriade de microajustements en train de s’effectuer à ce moment précis dans votre métabolisme et votre comportement, pour que vous restiez le même, au même endroit. Le spécialiste des neurosciences Antonio Damasio appelle ces mécanismes intriqués la « machine homéostatique ». Il en va de même pour nos émotions : nous ajustons notre activité pour garder nos sentiments, comme la bouillie de Boucle d’or, juste à la bonne température. (…)
Rester le même est un processus constant et dynamique. Nous sommes dans un dialogue actif et constant avec le changement, toujours en transition, toujours entre « a été » et « va être », cherchant sans cesse à être bien avec nous-mêmes. Étant des systèmes complexes, il nous faut toujours un temps d’adaptation pour satisfaire les demandes de nos situations toujours changeantes, pour moduler l’état où nous nous trouvons à ce moment précis. Si vous êtes parfaitement installé, il vous faudra travailler pour le rester : la lumière va baisser, la température aussi, vous allez ressentir la faim, la fatigue ou l’ennui; vous devrez procéder à des ajustements pour rester à votre aise, et changer pour rester le même.
Il y a toujours une période d’adaptation, de résistance au changement qui vient. Et pas seulement à celui qui vient : dans nos anticipations, nos craintes et nos désirs, dans nos histoires sur ce que nous devrions être, nous créons un écart entre l’endroit où nous sommes et celui où nous voudrions être. Nous nous mettons mal à l’aise. Notre désir d’être ailleurs produit de l’excitation ou de la fatigue à la pensée de tout le travail qu’il nous reste à accomplir pour y arriver. Notre aversion pour notre état présent conduit à un repli sur soi, à une fermeture ; une sorte d’excitation – qui cette fois nourrit le désir de la fuir ou de la combattre. Jamais entièrement tranquilles, nous vivons dans un état constant de flux entre ici et là-bas, entre ce qui est et ce qui pourrait être, toujours perturbés et en cours d’adaptation, toujours dans un petit Acte II, toujours en plein rattrapage.»
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