Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le témoignage de Karim qui a trouvé ce qu’il n’était pas venu chercher en Louisiane.
« Je crois avoir vraiment été accepté par la communauté des Louisanais après le passage de l’ouragan Ida, en août 2021. Nous avons vécu tous ensemble les mêmes difficultés, les mêmes peurs. J’étais enfin des leurs !
Mais tout cela ne s’est pas fait sans mal.
Cinq années auparavant, je travaillais pour un label qui diffusait des musiciens issus de la communauté des Acadiens, cette culture héritée des premiers colons français d’Amérique du Nord mais aussi de la Louisiane. Je voulais quitter mon petit village du sud de la France, ma communauté Harki où je n’arrivais pas à m’épanouir vraiment ni à trouver l’amour. Et puis j’avais vraiment ce rêve de participer au Carnaval. Je pars donc en exploration à la Nouvelle-Orléans et là : le coup de foudre ! Je tombe amoureux. Ce n’est pas du tout ce que j’avais prévu mais on se marie très vite et je m’installe dans ma nouvelle vie.
Je crois que je n’aurais pas pu vivre ailleurs que dans cette petite ville où tout se fait à pied, que vous pouvez traverser en 2h30. Mais à ce moment-là, j’ai l’impression de retomber en enfance, d’avoir à tout réapprendre. La langue, la nourriture, les codes, la vie avec les autres. Mais aussi, je m’émerveille de tout, comme un gamin ! La faune, la flore, la chaleur que les gens d’ici ne supportent pas toujours.
Je suis très social, très “français” : j’adore les repas interminables, les débats, les échanges chargés d’émotions. Je me souviens d’une conversation à table où un invité a dit qu’il “en avait fini avec l’amour”. Et comme je le questionne pour en savoir plus, il s’est immédiatement fermé. Impossible d’en obtenir plus. Trop intime ! On reste dans le superficiel et moi sur ma faim. Par ailleurs, les Louisianais sont souvent déconnectés de la langue française qui a été interdite pendant un siècle. Et puis les gens ne me voient pas du tout comme Français, avec ma grande taille, ma peau mate et ma barbe très noire. « T’as pas du tout la tête d’un Frenchy ! » « C’est parce que toute ma famille vient d’Algérie. » « Algérie ? Connais pas ! » « Marrakech ? » « Non plus ! »
Ce qui a vraiment contribué à mon intégration, c’est le fait que je sois guide : j’organise des tours de la Nouvelle-Orléans pour les francophiles. La ville peut être très décevante sans médiation. Le quartier français, au petit matin, c’est sale, voire franchement glauque. Mais passé dix heures, la vie reprend, se colore. Il y plein d’enfants et de familles. Et la nuit… Quelle ambiance ! Les Louisanais ont tous des histoires à raconter sur leur quartier, leur maison, leur famille. Le nombre de fois où, sur le chemin de la salle de sport, je me fais arrêter par des gens qui ont envie de discuter, au point que j’en oublie mon objectif initial : perdre mes quelques kilos en trop.
Après Ida, après tout ce que nous avons vécu, je comprends mieux les Louisanais, cette épée de Damoclès que nous avons tous au-dessus de la tête. J’assume mieux mes origines, ma passion pour l’art, l’histoire, la culture que je partage à travers mes activités – j’enseigne également. J’ai gardé mes copains français avec qui je refais le monde. Je suis loin de mes racines, de ma famille que j’aime et de mon petit village. Mais je suis devenu moi-même. »
Pour visiter la Nouvelle Orléans avec Karim.
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage, Karim. Pour accompagner votre récit, nous vous proposons les réflexions du philosophe Fabrice Midal, auteur de nombreux livres dont le célèbre « Sauvez votre peau ! ».
Dans cet essai, l’auteur explique : « Nous sommes tous des vilains petits canards appelés à devenir cygne ». Et pour amorcer la métamorphose, il faut « cesser de se sentir coupable parce que nous ne sommes pas comme tout le monde, (…) accepter notre singularité. (…) Cela peut prendre plein de sens différents : dire non, savoir se respecter, ne plus accepter d’être maltraité… » Vous êtes loin de vos racines, Karim, mais comme le recommande Fabrice Midal, vous avez « sauvé votre peau », pour devenir vous-même.
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