Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres et de revues sur l’épanouissement personnel. Illustration Clémentine Latron.
Cette semaine, découvrons l’histoire de Richard, en colère contre le système de santé américain.
« J’ai perdu ma mutuelle.
Pas par négligence. Pas par choix. Juste une rupture de contrat. Je pensais que la situation ne durerait pas.
Mais elle a duré.
Au début, je me disais que rien ne pouvait m’arriver. Que j’étais jeune, en bonne santé, que j’avais toujours été chanceux. Qu’une mutuelle, c’était surtout pour les autres. Ceux qui ont des enfants. Ceux qui ont des soucis chroniques. Ceux qui s’inquiètent pour tout.
Moi, j’étais au-dessus de ça.
Et puis, j’ai commencé à faire attention. Trop attention. À ressentir des trucs bizarres. À me demander si ce mal de tête était juste un mal de tête. À googler mes symptômes à 3h du matin. À annuler des analyses, des rendez-vous que j’avais prévus avant. À tout repousser.
Pas par flemme. Par peur.
Peur qu’un médecin me dise qu’il faut faire un scanner. Peur de recevoir une facture à quatre chiffres pour un simple examen. Peur d’avoir un accident en vélo. Peur que mon corps me trahisse, que mon capital santé s’épuise sans prévenir.
Et la honte.
Honte de ne pas être assuré dans un pays où tout le monde vous demande « what’s your coverage? » comme on demande « how are you? ». Honte d’être un Français, de venir d’un pays où la santé est un droit, et de vivre ici comme un clandestin médical. Honte de faire semblant d’aller bien pour ne pas inquiéter, ne pas justifier.
Et puis il y avait les histoires.
Ce copain qui avait payé 8 000 dollars pour une consultation en urgence. Celui qui s’était vu refusé par un médecin parce que « not covered ». Et le type qui avait perdu tout l’argent qu’il comptait mettre dans sa startup parce qu’il a eu la mauvaise idée de développer un cancer.
Il me fallait une mutuelle.
Welcome to the jungle ! Chaque mutuelle a des dizaines de plans : bronze, silver, gold, platinum… mais « gold » ne veut pas dire « mieux » – parfois, c’est juste plus cher pour moins de services. Chaque plan a sa propre logique, son propre vocabulaire : deductible, copay, coinsurance, out-of-pocket maximum… Un puzzle de clauses et de seuils. Une formule peut paraître bon marché, jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle ne rembourse qu’après 7 000 dollars dépensés de sa poche.
Et quand on croit avoir trouvé un plan, un courtier appelle. Puis deux. Puis dix. Certains ont l’air pro, d’autres lisent des scripts en boucle. On sent qu’ils vendent du rêve – ou du vent. Ils utilisent tous les mêmes phrases : « zero deductible », « no surprises », « everything covered ». Mais dès qu’on pose des questions concrètes, ça devient flou : « ça dépend du prestataire », « il faut voir avec le réseau », « vous serez remboursé selon les modalités ».
Le pire, c’est l’opacité. Deux personnes avec le même profil peuvent payer deux prix différents pour le même plan, selon leur zip code, leur âge, leur historique médical, leur revenu annuel… Le prix, ce n’est jamais « un prix ». C’est une fourchette. Une estimation. Une roulette.
Et quand j’ai trouvé le bon assureur (merci French Morning), j’ai dû me rendre à l’évidence : quelle que soit la formule, je n’avais pas assez d’argent pour une bonne mutuelle.
Ça m’a mis en colère contre ce pays où la santé est un business.
Je ne veux pas être plaint. Je ne suis pas à la rue. Pas encore. Mais j’ai touché du doigt cette précarité invisible, cette insécurité rampante. Je sais maintenant ce que ça fait de vivre avec la peur d’être malade. Et quelque soit la suite, je ne l’oublierai pas.
Pourvu que je ce stress ne me fasse pas développer un cancer… »
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage Richard, la santé est en effet un business aux États-Unis et certaines situations peuvent créer une franche colère telle que vous la ressentez.
De toutes les émotions, la colère est celle qui occupe le plus de pages dans l’incontournable La puissance des émotions de Michelle Laryvey. Nous vous en faisons ici un résumé.
« La colère est une émotion fondamentale, déclenchée chaque fois qu’un obstacle – réel ou perçu – se dresse entre nous et la satisfaction d’un besoin ou d’un désir. Contrairement à la tristesse, qui exprime un contact direct avec le manque, la colère réagit à ce qui est perçu comme la cause de la frustration. Elle vise donc un objet ou une personne, et mobilise notre énergie pour le neutraliser ou le dépasser.
Fréquente dans le quotidien, la colère est une réponse naturelle aux multiples insatisfactions que nous rencontrons. Certaines sont bénignes et passagères, d’autres plus profondes et durables, surtout lorsqu’elles sont mal traitées ou ignorées. Elle peut se manifester sous différentes formes, allant de l’irritation à la fureur, et se combiner à d’autres émotions comme la jalousie, la rancune ou le mépris. La rage survient face à l’impuissance, la révolte face à l’injustice – chaque nuance traduisant une relation particulière à l’obstacle rencontré.
La fonction principale de la colère est de restaurer un équilibre rompu. Elle signale une rupture dans la satisfaction de nos besoins – parfois aussi minime qu’un caprice, parfois plus essentielle. Elle concentre notre esprit sur le problème et déclenche des réactions physiologiques visibles, surtout lorsqu’elle est intense. En ce sens, elle est une alliée précieuse : elle fournit l’élan vital nécessaire pour agir, affirmer ses limites, protéger ses droits.
Mais cette énergie peut devenir destructrice si elle est mal dirigée. Lorsqu’on agit sans avoir pris le temps de ressentir pleinement la colère, d’en comprendre les causes et l’intensité, on risque de sauter des étapes cruciales du processus émotionnel. Le résultat ? Des réactions impulsives, inadaptées, voire nuisibles. L’action, au lieu d’être unifiante, devient dispersée ou violente.
Pour vivre sa colère de manière saine, il est essentiel de se reconnaître comme le principal responsable de sa vie. Ce positionnement intérieur limite les sentiments d’impuissance, rend la colère plus productive et évite de reporter la faute sur les autres ou sur la vie elle-même. À l’inverse, si l’on se perçoit comme une victime, les stratégies pour éliminer les obstacles risquent de devenir stériles, car elles s’attaquent à de fausses causes.
Enfin, il est essentiel de rester concentré sur l’objectif de satisfaction. Mais si l’on choisit la rancune, la passivité ou la vengeance silencieuse, on s’éloigne du respect de soi-même, et l’insatisfaction se creuse.
En somme, la colère est une émotion vitale, à condition de l’écouter, de la comprendre, et d’agir en pleine conscience. Refuser de voir ce qu’elle nous dit ou viser la mauvaise cible, c’est prendre le risque d’un long cortège de frustrations durables, de conflits injustes et de relations abîmées.»