Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le témoignage de Guillaume qui a dû se réinventer.
« Depuis notre rencontre en 2010, ma femme et moi avions le projet de partir en expatriation. Plutôt l’Asie, pour connaître une expérience radicalement différente. Mais, finalement, ce sont les US qui se sont présentés avec la proposition d’un poste à NY pour leur compte de son employeur, une entreprise américaine de conseil). On est en 2020. Je me demande alors : est-ce que je suis prêt à abandonner mon job ? Oui. Est-ce que je suis prêt à devenir le « conjoint suiveur » ? On verra bien. Nos filles ont alors quatre et un ans. Je voulais être présent, pour elles, le temps de nous installer. Donc, oui.
Mon épouse reçoit son “go” officiel le jour du lockdown. Quel timing ! Il faut attendre. J’avais inscrit notre aînée à The École, une école bilingue près de Gramercy Park qui nous gardera la place, jusqu’à notre arrivée. Arrivée qui traîne en longueur. Nous avons du mal à obtenir nos visas avec les nouvelles directives du président Trump, mais on finit par s’installer dans un New York vidé de ses habitants en juillet 2021.
Notre premier été est magique. On s’émerveille de tout. Ma femme commence son job fin juillet et nous, les filles et moi, passons nos journées à nous promener, à visiter la ville.
En septembre mon aînée entre à The École en Kindergarden puis, la plus petite en nursery quelques mois plus tard. Tout à coup, je me retrouve seul, sans travail ni projet.
La priorité, pour moi, c’est de rester en contact avec les gens. Je m’inscris à French Founders, un réseau qui regroupe des professionnels francophones, avant même d’obtenir mon permis de travail.
Je rencontre également beaucoup de parents dans un café à côté de The École, après avoir déposé les enfants, à un moment où les gens sont toujours en remote. C’est là que je fais connaissance avec celui qui deviendra mon associé et meilleur ami. Car je veux monter une boîte, me lancer.
À la maison, je me remets au Lego d’architecture, ma passion : je construis de grands bâtiments comme le Stade Manchester United. C’est une activité très méditative qui me permet à la fois de ne pas tourner en rond et de préparer mon avenir.
Mon avenir… Je concentre mes recherches dans la supply chain (différentes étapes liées à la chaîne d’approvisionnement) et mon associé et moi lançons notre projet. Rien n’est simple, mais les Américains sont très curieux et ouverts à ceux qui entreprennent. Il faut tester, quitte à se planter. Ici, la liberté prime, et ce, depuis le plus jeune âge : un matin d’hiver, alors que je veux obliger ma fille à mettre des chaussettes, elle me répond du haut de ses cinq ans : « It’s my choice, it’s my body ».
Mon associé et moi lançons les développements du premier prototype de notre produit en septembre 2022 que l’on teste auprès d’Américains. On est prêts en janvier. Avec eux, c’est tout de suite oui ou non. Et c’est plutôt « oui ». On avance. Le marché est très encourageant, sauf que tout est plus compliqué que prévu. Il faut penser les 50 États pratiquement comme 50 pays. Mais toujours « America first ».
Il nous faut de l’argent pour poursuivre. On lève des fonds… Pas assez. On est à court de cash. En mai, on est obligés de mettre le projet sur pause. Voilà. Quand cet article sera publié, on aura probablement tourné la page.
Je ne l’ai pas si mal vécu. Je crois que j’ai pris le meilleur de l’esprit américain : j’ai essayé quelque chose. Ça n’a pas marché. La seule chose que j’ai perdue, c’est un peu d’argent. Les Français de France, mes vieux copains me demandent si ça va, si ce n’est pas trop dur, si je ne regrette pas… Ma réponse est toujours la même : “Oui c’est dur. Aucun regret ! Quelle expérience !”
J’ai passé une qualification online avec Harvard Business School et compte bien en obtenir une autre. Je ne regrette rien. J’ai appris tellement de choses. J’ai la même énergie qu’à mes vingt ans, la même envie d’entreprendre. Je me sens régénéré. »
Edit : Le 1er octobre, Guillaume annonçait sur sa page Linkedin : « After two incredible years of dedication, innovation, and growth, it’s time to announce the end of MyCommand due to insufficient funding. (…) It’s now time to move to the next opportunity and I’m actively seeking my next challenge in Supply Chain. Please feel free to reach out if you’d like to connect or explore new opportunities together. » Lire le billet complet
La réponse de French Morning
Merci guillaume pour votre histoire. Ecoutons l’écrivain et philosophe Charles Pépin évoquer le rebond :
« Il faut essayer de se réinventer le plus possible, mais dans la fidélité à son désir. Utiliser les échecs, les bifurcations et les rebonds pour tenter de se rapprocher de son « axe » – de ce qui est, pour soi, l’essentiel. C’est exactement le sens du « deviens ce que tu es » nietzschéen.
Deviens : ne te laisse pas enfermer par tes échecs, fais-en des opportunités.
Ce que tu es : mais sans trahir ce qui compte vraiment pour toi, le désir qui te rend singulier.
Être capables, à l’âge adulte, d’identifier qu’un désir plus important que les autres nous traverse, ce n’est pas forcément nous figer : c’est simplement affirmer que nous sommes « quelqu’un quelque part », l’héritier d’une histoire, et non pas « n’importe qui n’importe où », tel un héros ou un anti-héros existentialiste.
Nous pouvons continuer de devenir autant que nous le voulons, mais « sans céder sur notre désir», sans trahir ce dont nous héritons. (…)
Contrairement à ce qu’affirment certains thérapeutes, notre capacité de rebond n’est pas infinie. Mais si nous savons rester fidèles à ce qui compte pour nous, elle demeure grande. Qu’on repense aux exemples de Charles de Gaulle, Barbara, Richard Branson ou David Bowie. Au cœur des échecs comme des succès, c’est en restant fidèles à leur quête, en dansant sur leur axe, qu’ils ont réussi. David Bowie a changé de visage, de personnage, de genre, s’est réinventé en même temps que sa musique, mais il est resté fidèle à son exigence.
Non pas à son « identité», ni à son essence, mais à son projet, à son manque. À son étoile. C’est ce que nous reconnaissons et aimons tant en lui. Quelque chose dans sa voix, quels que soient les périodes et les albums, dit cette fidélité.
Nous sommes d’autant plus libres que nous savons à quoi nous aspirons. Identifier notre quête, ce sur quoi nous ne devons pas céder, nous rend à la fois moins libres et plus libres. Moins libres: tout n’est plus possible. Plus libres : nous serons meilleurs en restant « sur notre axe », fidèles à notre désir.
Deux directions philosophiques donc, mais une seule sagesse de l’échec : celle qui nous ouvre à notre liberté au cœur même des limites. »
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