On connait la méthode. Un e-mail envoyé en douce par une connaissance lointaine. Un début de message sympa (“ça fait longtemps” ), quelques questions de rigueur (“Que deviens-tu? Tu t’éclates à NYC?” ). L’amorce: “Ca a l’air d’être une ville incroyable” . Puis, paf, la tuile: “Dis, je viens à New York pour une semaine et je voulais savoir si tu connaissais quelqu’un pour m’héberger” .
Toute personne normalement constituée ne le prendrait pas mal, mais nous sommes à New York, une ville magique où le moindre canapé-lit pourri acheté 50 dollars sur Craigslist fait subitement de vous un super ami. Pour repousser les tentatives d’incrust’ , plusieurs solutions existent: 1) emménager dans un studio sans sofa; 2) le “non” frontal; 2bis) le “non” agrémenté d’une excuse à la noix; 3) “faire la conne” comme Alice. “J’envoie des adresses Airbnb et je leur propose de prendre un café quand ils sont là” , explique cette Française bien rodée, qui a reçu bien des “radins, des ingrats” chez elle à son arrivée à New York.
“Désolé, j’ai des bed bugs” et autres excuses bidons
Refuser des requêtes d’hébergement est un art à New York. Et si l’on en croit cet article du New York Times, Gandhi était un virtuose en la matière. Lorsqu’il habitait à Manhattan, il refusait les sollicitations en disant “mince, j’aurais bien aimé, mais mon cousin vient ce week-end” . Il n’était pas le théoricien de la non-violence pour rien.
L’auteure offre aussi quelques autres excuses bidons prisées des New-Yorkais (et approuvées par French Morning) comme “c’est la semaine où mon appartement doit être repeint/ nous pensons vendre et nous faisons une open house/ nous avons une infestation horrible de bed bugs” – la dernière marche aussi avec les cafards et les souris. Nous y ajouterons: “j’ai de la famille qui doit peut-être venir cette semaine” , “un condo est en construction à côté de chez moi” ou encore “j’ai piscine” .
“C’est très français de profiter”
Alice, elle, a un argument de destruction massive: son mari américain. “Mon mari n’aime pas quand il y a des gens à la maison, j’ai trouvé cette excuse. Pour lui, on ne prend pas les choses gratuitement. C’est très français de profiter” .
Pour ceux qui ont du mal à dire “non”, comme Charlotte (dont le prénom a été changé comme tous les interviewés dans cet article), la sanction est immédiate. Des amis d’amis qu’elle n’avait jamais rencontrés, des anciens collègues “à peine croisés dans les couloirs” … tous l’ont contactée pour profiter de sa chambre d’amis. La jeune femme s’est sentie obligée de capituler face aux envahisseurs. “Lors de ma première année à New York, en cumulé, j’ai eu six mois de gens chez moi, et moins de la moitié était des amis, dit-elle. Souvent, ils jouaient sur les sentiments: un couple qui n’avait pas voyagé en quatre ans, un pote qui n’a jamais vu New York…”
Il aura fallu qu’elle emménage dans un studio pour qu’elle trouve enfin la force de résister. “Accueillir quelqu’un chez toi est un acte sado-maso. Tu t’imposes des contraintes. Mais si tu refuses, tu as l’impression d’être un gros naze, explique-t-elle. Ces situations me mettaient en face de mes propres faiblesses. C’était ça le plus énervant” .
Le droit de dire “non”
Thibault acquiesce. Lui aussi a accueilli beaucoup d’amis d’amis à son arrivée à New York il y a cinq ans, et lui aussi a commencé à refuser du monde. “Le plus dur, c’est de se dire que tu as le droit de dire non. C’est difficile de passer outre le sentiment de culpabilité que tu peux ressentir quand tu refuses du monde” , explique ce courageux Français. Aujourd’hui, seuls ses amis proches et sa famille ont le droit à ses faveurs.
Heureusement, certains “squatteurs” font des erreurs et rendent le “non” plus facile. Un jour, Julie, qui habite l’Upper West Side, a reçu un coup de fil d’une “amie d’amie d’amie d’amie” venue à New York avec son père pour le marathon. “Elle m’a expliqué que son hôtel était bien, mais qu’elle voulait rester quelques jours de plus. Il lui fallait un lit. La moutarde m’est montée au nez. Je lui ai dit que je n’étais pas un hôtel. Ce jour-là, j’ai dit non, et j’étais contente de le faire car j’avais l’impression qu’on se foutait de ma gueule. Elle abusait. J’ai logé beaucoup de monde, mais il y a une manière de demander. Pour elle, j’étais intéressante parce que j’avais un lit” .
Nouer des amitiés
Dire “non” ne va pas sans conséquence, surtout quand cela s’adresse à la famille. “Dès que j’ai eu mon deuxième enfant, j’ai dit à mon frère que je ne le recevrai plus. Je n’avais plus assez de place. Ils ont eu du mal à comprendre” , se souvient Alice.
Après tout cela, il serait facile d’oublier que les Français de New York ont un coeur et même des sentiments. Rappelons que New York est chère et certains visiteurs ne peuvent pas se l’offrir. Ouvrir votre porte, et votre clic-clac, peut apporter de belles surprises.
“J’ai eu de jolis cadeaux, des cigarettes en l’occurrence, et un lecteur mp3 externe, se souvient Charlotte. J’ai rencontré plein de gens cool” . Et encore plus cool, ils repartent un jour. “Ca m’est arrivé de nouer des amitiés comme ça. J’aime bien discuter, parler. Et puis, si je peux rendre service… souligne Julie. Ça marche aussi car ils ne restent jamais très longtemps. ”