Il y a deux citations que la pianiste Vanessa Wagner affectionne. Une de Saint-Augustin: “Avance sur ta route car elle n’existe que par ta marche“. Et une autre, du poète Henri Michaux: “Faute de soleil, sache mûrir dans la glace“.
La musicienne, avec vingt ans de carrière au compteur, a érigé ces maximes en philosophie de vie. Star incontestée du piano en France, elle ne veut “pas faire 250 concerts par an, voyager de New York à Paris à Tokyo” en permanence. “Je veux pouvoir passer du temps avec mes enfants, aller dans la nature m’occuper de mes animaux, m’engager en politique, dit-elle. On n’existe pas que sous les feux de la rampe, il faut savoir continuer à être dense et riche intérieurement pour supporter les moments moins bons. Il faut exister par autre chose que le succès“.
Vanessa Wagner est l’une des pianistes les plus reconnues de sa génération. Les amateurs de musique classique en France et en Europe se souviennent probablement de son sacre de « révélation soliste instrumental de l’année » aux Victoires de la musique classique de 1999, première grande distinction de sa carrière.
Le grand public, lui, la connaît sans doute à travers les notes de Mozart qu’elles a prêtées à la publicité d’Air France, “L’Envol”, où l’on voit la danseuse Virginie Caussin virevolter accrochée au cou de Benjamin Millepied. À 44 ans, les Américains s’apprêtent à la découvrir. Elle participera à un concert avec le jeune violoniste Virgil Boutellis-Taft le 14 décembre au Lycée français de New York. Pourquoi avoir attendu si tard pour traverser l’Atlantique ? “Ma carrière s’est installée principalement en Europe et en Asie. Il y a peu d’artistes qui sillonnent tous les continents, mais moi j’ai fait le choix d’une carrière atypique, qui me ressemble. Je ne vais pas partout“.
Dans sa carrière fulgurante – premier piano à 7 ans, entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse à 14, premier prix à 17, premier CD à 22 -, un Américain l’a influencée. Un certain Leon Fleisher, pianiste et chef d’orchestre de renom. Le virtuose, qui jouait avec le New York Philharmonic à 16 ans, faisait partie des mentors de la Rennaise. Au-delà d’avoir participé à sa formation en Italie après le conservatoire de Paris, il lui a conseillé de ne pas rentrer dans le jeu des compétitions de piano. “Je n’ai pas eu une carrière de compétitions. J’ai été invitée, ré-invitée à jouer. Ma carrière s’est faite comme cela. J’ai une carrière patiente, à l’ancienne, sourit-elle. J’ai compris il y a quelques années que je ne voulais pas suivre des voies déjà tracées pour moi. Je voulais inventer mon propre chemin“.
Ce chemin est fait de visites de territoires où ne s’aventurent pas souvent les pianistes classiques. Certes, elle adore Mozart et surtout Schubert, musicien “de l’intime“, mais elle a aussi collaboré avec l’artiste électro Murcof et donné dans la musique minimaliste, entre autres transgressions artistiques. Végétalienne, elle a aussi fait une brève incursion en politique, se présentant aux législatives de 2017 sous les couleurs du Parti animaliste dans le 14ème arrondissement de Paris. “L’environnement, les migrants” sont aussi des causes qui lui tiennent à coeur. “Je suis d’un tempérament militant. Je suis quelqu’un de public en France. Je prends la parole et on me la donne“.
Et le harcèlement sexuel, qui a fait irruption dans le débat public en France et aux Etats-Unis ? “Je n’ai pas été victime. Mais j’ai été mise dans des positions embarrassantes par des gens qui ont du pouvoir. Je m’en suis très bien tirée et je n’ai pas de traumatisme. C’est un métier où il y a une omerta assez forte, et où la parité, chez les chefs d’orchestres notamment, n’est pas obtenue”.
À New York, l’anti-conformiste sera de retour dans le classique. Schumann, Brahms, Debussy, Janácek et Bartok: un voyage en musique dans les grandes sonates européennes de la fin du XIXème-début XXème attend son public. “J’ai une personnalité multiple. Mon répertoire colle à des moments de ma vie. Aujourd’hui, je les assume. Je ne pourrais pas jouer du Chopin toute la vie“.