Un tableau rare d’une artiste française injustement méconnue du grand public orne désormais les murs de la galerie Révolution et Empire du musée de la Legion of Honor de San Francisco. Accroché juste à côté d’un lit richement décoré appartenant à Talleyrand, Psyché faisant ses adieux à sa famille vient en effet d’être acquis par les Fine Arts Museums of San Francisco, qui regroupent le De Young et la Legion of Honor. « Ce tableau comble un vide dans notre collection, car nous n’avions pas encore d’œuvre néoclassique traitant d’un sujet historique », explique Emily Beeny, conservatrice des peintures européennes au musée de la Legion of Honor. « Par ailleurs, ce tableau n’avait pas été exposé depuis le Salon de peinture et de sculpture de 1791, ce qui a permis de le conserver dans un état exceptionnel ».
Marie-Guillemine Benoist a en effet peint ce Psyché pour le présenter au Salon de 1791. Auparavant réservé aux membres de l’Académie Royale de peinture, le Salon s’ouvre cette année là aux non membres, et la jeune peintre, à peine âgée de 23 ans, y fait ses débuts de façon fracassante. « Les sujets historiques ou mythologiques, considérés comme les plus prestigieux car demandant un travail de recherche et d’interprétation, étaient l’apanage des hommes. Marie-Guillemine Benoist est la première femme à présenter un sujet de la sorte au Salon. »
D’abord formée par Elisabeth Vigée-Lebrun, portraitiste de Marie-Antoinette, puis par Jacques-Louis David, Marie-Guillemine Benoist est l’une des trois femmes à avoir été élèves de ce dernier. « Bienséance oblige, les peintres femmes n’avaient pas accès aux modèles qui posaient nus. C’est sans doute ce qui explique que pour ce tableau, la peintre a représenté tous les personnages vêtus. » Psyché faisant ses adieux à sa famille représente la princesse Psyché, vêtue de blanc, sur le point d’être abandonnée par sa famille sur un rocher isolé où elle doit se marier avec un monstre destructeur. D’après la prophétie d’Apollon, le royaume de sa famille sera épargné de la destruction en échange de ce sacrifice. « L’état exceptionnel de ce tableau permet d’admirer de nombreux détails : en s’approchant, on peut voir les larmes qui scintillent sur les joues de la mère de Psyché, et l’éclat des perles qui entourent le bras de la princesse. »
Le thème du sacrifice se retrouve également tout au long de la vie et de la carrière de Marie-Guillemine Benoist. Après son mariage, elle dut mettre un frein à sa carrière, son époux étant tombé en disgrâce pendant la période jacobine. Réduite à faire des portraits commissionnés pour subvenir aux besoins de sa famille, sa carrière ne décollera jamais vraiment. Son tableau le plus connue est celui de Madeleine (1800), exposé au Louvre. « Pendant la Restauration, alors que son mari a été réhabilité et devient membre du Conseil d’État, Marie-Guillemine Benoist doit arrêter sa carrière pour ne pas interférer avec la carrière de son mari », souligne Emily Beeny. La peintre reste toutefois considérée comme un modèle pour les artistes qui lui ont succédé, ayant brisé le carcan des conventions et des sujets réservés aux hommes.
Legion Of Honor Museum, 100 34th Avenue, San Francisco, CA 94121. Site.