“Le rugby en est là où le soccer était il y a dix ans. C’est le sport collectif avec la plus forte croissance de licenciés aux US”. Thierry Daupin est l’un des premiers français à avoir cru au développement du rugby aux Etats-Unis. Joueur en France avant une carrière dans le management du sport, il redécouvre le rugby à Hawaii en 2009, lors d’un voyage professionnel. “Je pensais faire du surf sur mon temps libre, mais j’ai été surpris de voir qu’il y avait une vraie culture rugby sur l’île, grâce notamment aux communautés fidjiennes et samoanes”.
Six ans plus tard, il déménage à Austin, “dans un État où les clubs et infrastructures de rugby sont également développés”. Il créé fin 2015 sa première équipe, l’Austin Elite Rugby, dans l’espoir d’intégrer le premier championnat professionnel américain, PRO Rugby, qui se lance au même moment. “On n’a pas réussi à entrer dans cette ligue, qui s’est d’ailleurs écroulée après sa première année. Alors on a créé un groupe de travail avec d’autres équipes, et on a lancé notre propre league en 2017, le Major Rugby Championship”, raconte le Français de 39 ans.
Thierry Daupin et l’Austin Elite Rugby remportent ce premier championnat fin 2017, avec plusieurs français sur le terrain dont Timothée Guillemin, ancien joueur au SU Agen. “Les joueurs français ont un vrai QI rugby. ils connaissent le professionnalisme français et le cadre de vie qu’il faut avoir hors du terrain. Ce sont des exemples pour les autres joueurs“, explique l’entrepreneur. En 2018, le Major Rugby Championship se professionnalise et devient la Major League Rugby (MLR). Le championnat passe de quatre à sept équipes.
A New York, c’est l’ancien directeur général du Stade Français, Pierre Arnald, qui décide de miser sur l’ovalie en rachetant le Rugby United fin 2018. “Ce qui m’a convaincu ? Ma rencontre avec Ross Young, le directeur de la fédération américaine. Il a organisé la Coupe du monde de rugby à 7 à San Francisco à l’été 2018. Ça a été une vraie réussite”. Les objectifs à long terme de la ligue américaine ont également rassuré l’entrepreneur français. “Ils ont défini un plan d’action sur les dix prochaines années, avec l’objectif d’être candidats à l’organisation de la Coupe du monde en 2031“.
Le Rugby United a intégré le championnat américain l’année dernière. Cette saison, l’équipe a ajouté un atout de poids avec l’international français et ancien capitaine de l’Equipe de France Mathieu Bastareaud. Un gros coup pour Pierre Arnald. “Mathieu fait partie de ces joueurs exceptionnels, qui ont du charisme, qui ont envie de découvrir des choses. Il vient à 31 ans, en pleine force de l’âge et avec son expérience”. Pour Mathieu Bastareaud, “il y a pire comme ville et comme pays pour jouer au rugby et découvrir autre chose”, confiait-il lors de l’annonce de son recrutement l’an dernier. Le joueur français explique ne pas avoir été surpris par le niveau de la ligue. “Techniquement et au niveau de la vitesse, c’est fluide et ça joue bien. Après c’est sûr qu’il n’y a pas la même qualité que dans le Top14 (championnat français), mais c’est très prometteur pour un début”.
La saison régulière 2020 de MLR a débuté le 8 février avec douze équipes, six à l’Est et six à l’Ouest, et s’achèvera en mai. A l’issue des quatre mois de compétition, les deuxième et troisième de chaque conférence s’affrontent en playoffs, avant de jouer contre le premier en finale de conférence. Le vainqueurs à l’Ouest et à l’Est avancent jusqu’à la grande finale.
D’autres joueurs français ont choisi de vivre leur rêve américain. C’est le cas de Simon Courcoul, 23 ans, qui a posé ses valises à Boston, dans le club des New England Free Jacks. “J’ai effectué ma formation et joué mes premières années en France, notamment à Clermont et Bayonne. J’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour du système français, j’avais besoin de découvrir une autre atmosphère”. Le jeune sportif a découvert la MLR sur Instagram, grâce au compte de Timothée Guillemin, qui évolue aujourd’hui aussi à New England. “Je l’ai contacté à l’été 2018 en lui demandant plus d’informations sur le championnat. Je suis un grand fan de la culture américaine et des sports américains en général, j’ai été vite convaincu”, confie Simon Courcoul. Pour lui comme pour Mathieu Bastareaud, le choix de la MLR n’a pas été dicté par l’argent. Pierre Arnald explique que l’ex-international français a même dû “consentir a de gros efforts financiers pour venir à New York”. Le plafond salarial de la ligue s’élève en effet pour l’instant à 45 000$ par joueur et par saison.
L’ancien président du RC Toulon Mourad Boudjellal a lui aussi décidé d’investir dans le rugby américain. Il s’est associé à Thierry Daupin, qui a vendu le club d’Austin l’année dernière, pour créer le RC Miami. “Le club est créé, on est en train de monter notre équipe. On est en discussion avec la ligue pour intégrer le championnat d’ici 2022 ou 2023”, détaille Thierry Daupin. “C’est un plaisir de pouvoir redonner à ce sport que j’aime, qui m’a fait grandir”, ajoute le Français qui espère lui aussi que les Etats-Unis décrocheront l’organisation de la Coupe du monde en 2031.
Même la ligue nationale de rugby française (LNR) espère participer au développement du rugby aux Etats-Unis. Elle a annoncé dès août 2018 sur son site “un accord de négociation stratégique avec la Major League Rugby”. Concrètement, la LNR veut investir dans la ligue américaine et apporter son expérience pour développer le rugby professionnel aux Etats-Unis et l’image du championnat français à l’étranger. “L’idée est aussi de permettre à certains joueurs français en fin de carrière ou à des jeunes universitaires de tenter l’aventure américaine. Et cette possibilité suscite déjà beaucoup d’intérêt », expliquait au journal La Croix en octobre Alain Tingaud, vice-président de la Ligue nationale de rugby.
Mais un an et demi plus tard, l’accord entre les deux fédérations patauge. Le “commissionner” américain de la MLR Dean Howes a été démis de ses fonctions par les propriétaires des franchises début décembre. “Le premier commissionner a vraiment structuré la ligue. Il nous faut maintenant rendre plus attractif le championnat auprès des sponsors et des partenaires”, lâche Thierry Daupin. La nomination récente de George Killebrew à la tête de la MLR est peut-être le chaînon manquant qui fera passer le championnat dans une nouvelle dimension. Figure reconnue dans le management du sport américain, l’Américain a développé pendant près de 30 ans le marketing et les ventes des Dallas Mavericks en NBA.