Quand Eugène Ionesco a écrit Rhinocéros, il était sans doute loin de s’imaginer que la pièce serait jouée un jour aux Etats-Unis. En réalité, elle ne le sera pas qu’une seule fois, mais huit! Et par le Théâtre de la Ville de Paris, qui effectue une tournée américaine à partir du 21 septembre. Sur sa trajectoire, San Francisco, Los Angeles, Ann Arbor et New York. “Cet automne, nous l’aurons jouée environ 150 fois, indique Emmanuel Demarcy-Mota, son metteur en scène. Les acteurs et moi-même la connaissons par coeur. L’innovation réside dans le lieu. La jouer aux Etats-Unis, voilà ce qui est nouveau.”
Créée en 1959, la pièce est jouée depuis plus de 60 ans en Europe. Ecrite en allemand, traduite en français puis en anglais en 1960, elle est accueillie par le Royal Court Theatre de Londres pour la première fois la même année. M. Demarcy-Mota, qui dirige Théâtre de la Ville de Paris depuis 2007, l’adapte en 2004 comme metteur en scène. La pièce remporte un franc succès en France et voyage jusqu’en 2006 dans d’autres pays du Vieux Continent. Quinze acteurs suivent M. Demarcy-Mota dans cette aventure européenne. Hugues Quester (Béranger), Serge Maggiani (Jean) et Céline Carrère (Daisy) jouent les rôles principaux.
Aujourd’hui, alors qu’ils investissent les théâtres américains avec l’ambition de faire découvrir la pièce au plus grand nombre, ils comptent bien séduire un public plus large que la population francophile. “La pièce se joue en Français mais le théâtre de Ionesco est universel”, rappelle Emmanuel Demarcy-Mota.
« Mollesse du monde »
Malgré sa portée universelle, son histoire est enracinée dans l’Après-Guerre. L’œuvre raconte l’histoire d’un groupe de villageois et leur réaction face à l’apparition d’un drôle de mal : la rhinocérite (humains se transformant en rhinocéros). Les humains, d’abord effrayés, succombent presque tous à la maladie. Une métaphore pour parler des régimes totalitaires de l’époque (nazisme, stalinisme) et de la résistance (ou l’absence de résistance) face au fascisme.
L’exporter aux Etats-Unis aujourd’hui est lourd de sens : “Dans chaque pays où nous l’avons jouée, les spectateurs ont eu une réaction différente. Rhinocéros pose la question de la normalisation de catastrophes actuelles comme le terrorisme. En la jouant en Amérique en 2012, nous la confrontons à la mollesse du monde, son incapacité à se construire un avenir”.