Chère Viviane,
C’est fait, l’école est bien finie. Une année qui s’achève avec beaucoup de pluie et de dérapages. Pas toujours facile, mais du moins nous ne ferons plus partis des nouveaux à la rentrée. Question que je pose et dont je discute avec mon époux sérieusement : nous ne savons pas combien de temps nous allons demeurer en expatriation et du coup aurons-nous assez de temps pour explorer cet immense pays ? Devrions-nous carrément annoncer à nos parents que nous ne rentrons pas cet été comme prévu, ou bien pensez-vous qu’il est plus important de se retrouver en famille ?
Karine de New Brunswick.
Chère Karine,
Votre interrogation ne m’étonne guerre, car elle se pose chaque été pour ceux habitant loin de leurs racines avec peut-être des parents qui sollicitent d’avantage votre présence. Je crois que dans ce monde qui nous entoure, rien n’est prévisible de la même façon, l’inattendu faisant partie intégrante de nos projets et l’incompréhension nous rend sans doute plus craintif du spontané.
Alors du point de vue de votre lunette de votre famille en expatriation, que pouvons nous-dire ? Vous vivez dans un pays qui présente un infini de découvertes, de toiles de fond lumineuses et d’aventures inimaginables par les autres réunis de l’autre côté de l’océan ! Faut-il en profiter à fond, là tout de suite, consulter l’internet, trouver les points chauds du tourisme, pas trop touristiques ? Explorer ce pays d’un bout à l’autre prendrait bien plus d’une année sabbatique : d’un côté l’étendue du Far Ouest, les côtes où nagent librement les phoques Californiens ; de l’autre, les sommets des Téton regardant les parcs nationaux. Et pourquoi pas les pistes de ski d’été au Colorado ou encore les vagues magiques de Hawaï ?
C’est vrai, la liste est exhaustive de tentations inoubliables. Certes, ce ne sont pas les sept Merveilles du Monde, mais tout de même. Constatez plutôt : 50 Etats, 305 millions d’habitants, 41 villes de plus d’un million d’habitants, 2 000 groupes ethniques, quatre langues principales (inclus le français), 337 langues plus 176 langues indigènes. Une superficie de presque dix millions de km², 20 000 km de côtes avec des climats allant du tropicale humide, à la grande sécheresse chaude en passant par le froid glacial.
Cet éblouissement remplit de variété se manifeste aussi d’un aspect artistique, créatif, souvent indigène, dont la musique, le théâtre, le ballet, le cinéma et la mode font aussi partie des festivals d’été qui n’en finissent pas dans les mégapoles de la côte Est vers la côte Ouest. On peut suivre en traversant la Sun Belt floridienne, en passant par le Texas pour arriver en Californie par exemple. Tout ceci béni et protégé sous un même drapeau portant les couleurs bleu, blanc, rouge, couleurs qui nous tiennent aussi tant à cœur !
J’entends votre envie, votre désir de boulimie. Vite, vite, il faut que je découvre, que je partage, que je montre, que j’enseigne ! Je veux laisser des images, des empreintes dans les yeux et le cœur de nos enfants. Intéressant article l’autre jour dans le New York Times parlant des étudiants Américains visitant l’Europe et de l’espoir de leurs parents qu’ils rentreraient équipés d’une compréhension, d’un respect et d’une nouvelle ouverture d’esprit qui aillent au delà d’un clic d’appareil photo.
Je comprends bien cette frénésie, cette peur d’échouer en tant que « maître de conférence » de la vie de vos enfants. Cette inquiétude d’avoir gaspillé vos choix d’apprentissage en tant que parents, sachant que cela ne pourra sans doute plus jamais se représenter. Quel cadeau avorté, quel chance loupée, quel acte manqué ! Personnellement je pense que notre devoir en tant que parent est infini. Il s’étend bien au-delà de la géographie, du tout savoir, du savoir répondre à tout. Notre rôle évolue à travers chaque étape, chaque nouvelle fenêtre qui s’entrouvre et c’est souvent l’accompagnement qui compte le plus.
D’autres parents dans votre situation prennent conscience d’avoir vécu dans un cocon où il était possible de se sentir chez soi, tout en étant loin de soi. Ceux d’entre nous qui habitent en dehors d’une métropole ressentent moins le besoin de bouger, de partir, car la nature et ses recoins, la plage et ses parasols, les sentiers et ses « roller balades » sont tout autour, disponibles au bout du sentier. Souvent fatigués des retours obligatoires en Europe, vous voulez pouvoir profiter de votre maison, de votre jardin, de votre tranquillité. Le besoin de découverte s’estompe et on remarque à quel point il est bon d’être chez soi sans les horaires et conduites contraignantes, sans les activités réglementées. Apres tout, l’été est ici souvent ensoleillé, chaud, voire trop chaud. Mais là encore, en dehors de la ville, vous souffrez moins. La piscine du coin est publique et propre, le passe pour la plage pas cher et les journées sont assurées sans devoir être animées.
Cependant, ce sont souvent nos familles de là-bas qui tiennent les rennes. Les vacances sont organisées, télécommandées et prévues de la même façon tranquillisante chaque année. Ne pas venir, quelle trahison, quelle ingratitude, quel rejet ! Vous n’arrivez pas à trouver une excuse qui tienne la route. Exemples types : la maison restera vide et nous n’avons pas d’alarme ; il nous faudra mettre le chien au chenil ; nous avons prévu un voyage de rêve avec nos amis en RV de luxe…
Alors, quelle solution ? Pour une fois, j’avoue me sentir partagée. Peut-être est ce parce que je suis une vieille expatriée, que j’ai suivi plusieurs pistes américaines, que je deviens plus nostalgique… Mon cœur balance donc. Les attaches ataviques, les retours au terroir sont pour beaucoup d’entre nous indispensables, comme un souffle de vie, une rafale de vent qui permet de renouveler nos forces d’exilés. Pour certains, l’esprit d’aventure prend le dessus, et après une année difficile, permet de retrouver vigueur, équilibre et épanouissement. Pour d’autres, c’est plutôt une façon de commencer à couper le cordon ombilical délicatement, la distance permettant de se sentir plus fort et libéré.
Karine, vous serait-il envisageable de couper la poire en deux ? Vous savez, nos chapeaux éclectiques de parents sont les mêmes que ceux de vos parents qui se balançaient avant sur leurs propres têtes. Alors cela ne vaudrait-il pas la peine de tout simplement partager votre questionnement ? Non, vous ne cherchez pas à poser vos amarres ailleurs, bien entendu. Vous les aimez tout autant mais ne serait-ce pas à votre tour d’être guide et hôte pour votre propre famille ? Qui sait, vous aurez peut-être la bonne surprise de les entendre dire : « pas de problèmes, quelle bonne idée, on s’arrange pour les dates et on vient vous rejoindre. » Alors, passez de bonnes vacances, ici ou là, l’important est d’être entouré de personnes que l’on aime. C’est bien cela la vraie découverte de la vie.
Pour poser vos questions à Viviane : [email protected]