«Trabelsi voleurs ! Trabelsi, c’est fini ! » Un homme s’époumone à l’angle de la 1e Avenue et de la 47e rue, devant l’immeuble des Nations Unies. Une petite foule de Tunisiens reprend joyeusement les slogans contre la belle-famille du président Ben Ali dont les membres se sont accaparés le pays pendant vingt-trois ans. Les mots sont restés en travers leur gorge pendant trop longtemps pour résister à l’envie de les crier. Tunisiens expatriés à New York, ils sont banquiers, ingénieurs ou étudiants et ont fui un pays placé en coupe réglée par un clan vorace.
Moez Hababou, gestionnaire de risque chez Barclay, a choisi le Canada, puis les Etats-Unis, parce que la Tunisie de Ben Ali ne lui offrait rien. « J’aurais voulu monter ma propre entreprise, mais c’était prendre le risque de se la voir confisquer par un membre de la famille Trabelsi », explique-t-il, persuadé que désormais les investisseurs échaudés par ce « racket financier » vont revenir en Tunisie.
«Pour ouvrir un business, la règle était simple : il fallait en donner la moitié au clan du président », renchérit Hajer Hyari, une jeune architecte. Comme elle, de nombreux cadres et diplômés sont venus grossir les rangs de la diaspora tunisienne à l’étranger. La chute de ce régime suffocant où l’accès au réseau Internet était filtré et la presse sévèrement contrôlée ouvre la voie du retour. « L’idée commence à me titiller. Je me dis que je pourrais construire quelque chose. Ce n’est plus un rêve », témoigne Sofiène Khadhar, trésorier dans une banque française de New York. « Ces cinq dernières années, la corruption était devenue obscène, ajoute-t-il. Tous les jours, je me réveille et vais immédiatement sur FaceBook pour vérifier que c’est vraiment arrivé. Franchement, j’ai encore du mal à y croire. »
Aziz Haj Romdhane vient tout juste de terminer ses études d’ingénieur, en France. New York devait marquer le début de sa carrière. Les événements lui donnent maintenant de sérieuses raisons de songer à rentre en Tunisie. « Toutes mes perspectives d’avenir sont bouleversées. La famille du président contrôlait 50% de l’économie tunisienne et toutes ces entreprises vont revenir à l’Etat pour être progressivement privatisées. Il y aura beaucoup à faire », prédit le jeune homme. A ses côtés, Alia Farrah, diplômée en management international, reprend fièrement l’hymne national tunisien entonné par la foule. « Jusqu’ici, rentrer en Tunisie me semblait inenvisageable, mais maintenant cela fait partie des possibilités. Cela nous donne un espoir fou ! », se réjouit la jeune femme, impatiente, dit-elle « de parler librement de politique dans un café de Tunis sans avoir à baisser la voix ». Quelques manifestants jettent des portraits de Ben Ali sur le sol avant de les piétiner rageusement. « Il nous a marché dessus pendant des décennies, sourit Alia. On peut bien lui marcher sur la tête maintenant. »
(Photo: Sur Union Square).