Quiconque a mis les pieds chez un “barber” aux Etats-Unis a remarqué le tube tricolores (bleu-blanc-rouge) dans l’entrée. S’il ne s’agit pas d’une manifestation patriotique ni d’une manière d’appâter les chalands français, pourquoi sont-ils là? C’est la question bête de la semaine.
Cela remonte à un temps lointain où les barbiers étaient aussi (gloups) chirurgiens voire dentistes. Au Moyen-Age, les moines pratiquaient des saignées pour guérir les patients atteints de fièvres et d’autres maux qu’on pensait liés au sang. Les barbiers, maitres du maniement de lames, particulièrement en vogue à l’époque avec le boom des tonsures, étaient souvent appelés à la rescousse.
Lors du concile de Tours de 1163, le Pape Alexandre III interdit aux moines de pratiquer ces opérations, les considérant comme des mutilations sur le corps humain. Les barbiers endossent donc le rôle de chirurgiens. Ces “barbiers-chirurgiens” étaient courants en France et en Angleterre. En plus de vous raser, ils étaient habilités à réaliser différentes interventions médicales, comme remettre des os en place et même arracher des dents. Le Français Ambroise Paré, considéré comme l’inventeur de la chirurgie moderne, a débuté sa carrière comme “barbier-chirurgien” .
A l’extérieur de leur commerce, ils érigeaient des barres rouges enrobées de chiffons blancs. Tandis que le rouge symbolisait le sang et la barre le baton que les patients devaient serrer pour faire ressortir leurs veines, les chiffons étaient utilisés pour stopper les saignements. Ils étaient mis autour de la barre à sécher. Aux Etats-Unis, où la pratique est arrivée avec les colons britanniques, le bleu est mystérieusement venu s’ajouter à la panoplie. Son origine ne fait pas l’unanimité: certaines théories racontent que c’est une référence aux couleurs du drapeau, pour d’autres elle symbolise les veines.
Si votre barbier ne vous arrache plus les dents aujourd’hui, c’est grâce au roi Georges II, qui a séparé les deux professions au cours du XVIIIème siècle, en instaurant le London College of Surgeons pour former les chirurgiens. Mais la pratique a perduré aux Etats-Unis où “l’on pouvait trouver des barbiers pratiquant des saignées jusque dans les années 1830“, selon Edwin Tunis, auteur de l’ouvrage Colonial Craftsmen: And the Beginnings of American Industry. Dans le même temps, les progrès de la médecine moderne ont entrainé le déclin des saignées, poussant progressivement les barbiers à se recentrer sur leur coeur de métier.
L’usage de ces barres devenues cylindres est de moins en moins répandu. En 2010, CNN racontait les déboires du dernier producteur de “barber poles“ en Amérique. A l’époque, la production moyenne de la William Marvy Company tournait autour de 500 par an contre 5.100 dans les années 60, selon la chaine. La concurrence de la Chine et du Japon a contribué à ce déclin. On peut aujourd’hui en acheter sur internet pour quelques dizaines de dollars.