Je lis avec beaucoup d’intérêt comme vous, les discours évanescents de tant de commentateurs TV et radio en France comme aux USA. Les commentaires très empreints de vision politique, surtout victimes du court terme et de courte vue, nous parlent d’Armageddon. Ces mêmes commentateurs nous avaient dit après la crise de 2008 que « le monde ne serait plus jamais comme avant », ou, à chaque baisse de 20% du bitcoin, que les cryptos n’étaient « rien d’autre qu’une arnaque pour cyber terroriste ou ado attardé ».
Je pense que pour la plupart, en toute humilité, ils passent totalement à côté du sujet. Ils s’attardent sur le court terme, sans aucun intérêt pour le potentiel succès des mesures prises par Trump en cas de succès et surtout, analysent chaque mesure, au quotidien, sans prendre la peine de les connecter ensemble et de voir à quel plan global et stratégie elles obéissent.
Tout d’abord, les commentateurs relèvent que Trump remet en cause l’ordre actuel. Ce qui signifie l’ordre établi. Et on n’a pas le droit de remettre l’ordre établi, car c’est ainsi, et personne n’aurait le droit de le contester. Ils ajoutent, que nous revenons à 1930, voire encore plus loin en arrière, et que tout ce qui a fait la gloire du monde va voler en éclat, nous entraîner dans une crise sans fin, à laquelle ceux qui ont survécu au Covid vont succomber. Cela en dit long sur la courte vue de ce monde qui n’a pas compris que le court terme était toujours mauvais conseiller. Que le manque de recul rendait presbyte et myope à la fois.
Cela signifie que tout ce qui a été érigé en dogme, ne devrait jamais être remis en cause. Que le changement et l’innovation devraient disparaître du dictionnaire. Et cela signifie également que chaque théorie économique, pensée politique serait « parquée » dans un corpus de règles homogènes, qui ne devraient souffrir d’aucune déviance, ou pire, interpénétration. Horreur, imaginez, prendre le meilleur de chaque église pour en construire une nouvelle, ma brave dame, vous n’y pensez pas ! Et c’est exactement ce que fait Trump, pour le meilleur ou le pire, mais seul l’avenir, pas le court terme, nous le dira. Il propose aujourd’hui une nouvelle doctrine politico-économique, le LIBERALISME EGOCENTRIQUE. Explication ?
On nous dit chaque jour dans chaque magazine, interview, débat : « Trump ce n’est pas bien, car il remet en cause ce « multilatéralisme » qui a fait le bonheur du monde et le remplace par un protectionnisme d’un autre temps ». C’est vrai que tout marche si bien dans le monde depuis que l’on a fait du multilatéralisme et de la globalisation la théorie du bonheur des peuples.
Jugez un peu. Jamais les écarts de richesse dans le monde n’ont été aussi importants. Jamais la classe moyenne n’a été attaquée à un point qui devient inquiétant pour nos économies occidentales, qui sont politiquement définies par leur existence même. Jamais les travailleurs n’ont été aussi pauvres, au point, pour nombre d’entre eux de ne pouvoir, en milieu urbain, manger des fruits, poisson et légumes plus d’une fois par semaine. La plupart des émergents n’ont toujours pas émergés, maintenus dans une fonction de servage uniquement liée à l’exploitation de leur travail à bas prix. Jamais la situation politique de nos pays n’a été aussi polarisée (du fait de Trump d’ailleurs aux USA), voire nauséabonde (le plus fort taux d’inflation actuelle n’est pas alimentaire, c’est la croissance de l’antisémitisme).
Les chances d’un homme ou d’une femme sur cette terre en 1970 de pouvoir élever le niveau social de la génération qui l’avait précédé était de 90%. Il est aujourd’hui de 50%, on pense qu’il sera de 30% en 2040. Muriel Pénicaud (ancienne ministre du travail) me rappelait qu’une étude de l’OCDE montrait que pour construire le même patrimoine que la génération des boomers, il faudrait vraisemblablement en moyenne 6 générations à un nouveau-né en Europe !! La grande distribution et la légende du pouvoir d’achat, ont poussé tous nos emplois industriels dans les pays à bas coût, pour finalement exploiter des pauvres afin de nous permettre de le devenir à notre tour. Beau résultat. Pensez au textile. Même G.Plassat quand il dirigeait Carrefour, ou en privé certains Mulliez, avouaient qu’ils avaient participé à un « génocide » contre nos PME-PMI.
Alors faire du multilatéralisme et du total libre-échange un étalon de mesure du succès de notre planète depuis 1930, me semble un peu ambitieux. Donc pourquoi ne pas revenir, justement, ou en arrière, ou de l’adapter ? Je dis donc, que Trump et son équipe, cessent d’ériger les dogmes « main stream » au rang de parole divine et les agressent. Bon ou mauvais ? Je ne sais pas. Seul l’avenir le dira. Mais ne rien changer au prétexte que c’est ainsi, démontre une paresse intellectuelle qui explique certainement que la dette qui représentait 34% du PIB en 1974 (USA) est désormais à 124%. (Sauf en Irlande, au Portugal, en excédent budgétaire pour avoir échappé à la doxa fiscale, ou l’Argentine, dont le président était aussi traité de Clown il y a encore peu). Donc aucune admiration pour Trump, mais je dirais « wait and see ».
Quand j’entends que Trump nous ramène un siècle en arrière, à un temps tellement obscur, alors que tout a été si glorieux depuis, je me permets de prendre un peu de recul. Vraiment si bien ?
Trump n’est ni un intellectuel, ni un historien, c’est un pragmatique, qui a été élu, y compris par de nombreux démocrates, pour faire une chose, ramener la puissance et les emplois dans son pays. Seuls les USA l’intéresse, c’est le côté EGOCENTRIQUE de son projet politique et économique. « USA FIRST ». C’est en partie ce qui échappe aux commentateurs, peu habitués à des présidents qui font ce pour quoi ils ont été élus. Il promet une puissance éternelle et montre des dents très blanches qui tranchent sur une peau très orange, pour obtenir ce qu’il veut pour les USA. Doit-on le blâmer ? Le critiquer ? Je dis « wait and see ».
Le libéralisme maintenant. Nombre de brillants commentaires disent à quel point cet entrepreneur capitaliste trahirait les codes du libéralisme et donc les siens. Bien. Quelle tristesse intellectuelle !! On pourrait avoir un libéralisme social, mais pas un « libéralisme réaliste et protectionniste des siens » ? On ne pourrait « mixer » les « religions » économiques. Trump brise les frontières. Cela fait mal au cerveau à ceux qui aiment le statuquo. Moi, cela m’intéresse au sens de « pourquoi pas ? » et « si jamais » ? Je suis entrepreneur, et un entrepreneur voit dans le monde l’opportunité de faire du changement et de la disruption une raison du succès. Les gouvernements, les politiques et les grands groupes détestent cela. Et comme ils tiennent le pouvoir, le monde ne change pas, et génère les injustices que je citais plus haut, mais les cache en achetant la paix sociale par la dette. 120% du PIB en France (20% en 1974).
Les théories économiques datent d’un temps que les moins de 100 ans ne peuvent pas connaître. On est Keynésien, Friedman ou Hayek, à tendance palo alto ou à poil dru. Toutes ces théories sont les enfants d’un temps où la mesure du temps était l’année, où nous avions 2 superpuissances, où le monde abritait 5 milliards de personnes. Désormais le trading est à haute fréquence, piloté par la machine, les réseaux sociaux ont un effet ricochet mondial en quelques minutes et nous sommes 9 milliards. Croyez-vous (à part quelques constantes) que ces théories ne méritent pas d’être mixées et revisitées ?
Trump le fait. Et si ce n’est lui directement, on sent derrière que des cerveaux, éduqués, sont en train de faire un mélange de libéralisme et de protectionnisme, de réalisme et de dogme. Ils tentent (Vance, Musk, Thiel et tant d’autres), de définir une nouvelle donne, adaptée aux temps, mélange de réassurance nationaliste et populiste, de libéralisme et de régulations/dérégulations. Un mix jamais vu auparavant, c’est vrai. Mais le monde est-il le même ?
Enfin les USA ne sont pas le temple du capitalisme mais du monopole. La Chine est plus capitaliste au niveau économique. Il y a 10 baidu, shein, alibaba, temu.. pour 1 google, 1 amazon, 1 microsoft. La façon dont se construit le pouvoir ici est par la force de sociétés puissantes et monopolistiques, et non par un libéralisme décomplexé. Trump ne trahit donc pas une tradition libérale Américaine.
Enfin, tout le monde crie à la panique, à une nouvelle inflation qui va nous emporter tel un Ebola économique, que l’effet boomerang va être terrible et se manifeste déjà. L’arroseur sera arrosé, tout le monde a vu le dessin représentant Trump urinant devant un ventilateur qui renvoie tout sur son costume. Vraiment ?
La politique de menace a déjà ramené au bas mot 1000 000 milliards d’investissement aux USA, notamment sous forme d’usines rapatriées ici, par des sociétés américaines et étrangères. Total, CGA CGM côté Français notamment. Softbank côté Japon. Les Taiwanais. Mais aussi Apple etc..
La politique énergétique a fait chuter le cours du pétrole à 65$. On prévoit une possible baisse à 30$. Quel budget pèse le plus sur les américains qui vont prendre le métro avec leur voiture ? L’énergie. Cela aura un effet bénéfique sur l’inflation. Les taux ne se détendent pas, ce qui est une autre bonne nouvelle pour l’inflation. Donc là aussi, les pythies de l’inflation dévastatrice, pourraient, je dis bien au conditionnel, en être pour leurs frais. Là aussi, réalisme. Trump obtiendra des concessions, elles sont en cours, et passera à autre chose. Donc tout cela va rentrer dans l’ordre. C’est l’avantage de la puissance et de la décision sur l’impuissance et le compromis.
La bourse me direz-vous ? Vous croyez vraiment que la bourse perd ? C’est comme au casino, le casino gagne toujours. Les prix bas d’aujourd’hui sont une promesse d’immense plus-value pour demain. Comme Jamie Dimon disait récemment. « Je n’aime pas Trump, je ne vote pas Trump, mais nous allons gagner un argent fou ». Donc n’ayez aucune inquiétude pour nos traders, ils auront une prime à plus de 6 chiffres encore en 2025 ou 26. La bourse n’est pas le reflet de l’économie réelle, mais un outil de spéculation, qui pourtant se moquait longtemps des cryptos. Amusant.
Je pense donc que nous assistons à la naissance d’une théorie politico-économique mixte, qui emprunte à plusieurs courants, et ne craint pas la disruption. Étant donné l’état du monde, tout mérite d’être tenté, cela évite de se retrouver comme en France, avec une extrême gauche nauséabonde, dangereuse et une extrême droite dotée d’un « programme économique » proche du communisme. Cette théorie est beaucoup plus réfléchie que la plupart des obsédés du court-terme et du bon mot, ne le pensent. Il y a des théoriciens brillants derrière Trump. Et surtout, et j’aurais dû l’ajouter dès le départ, Trump est un entrepreneur, il s’adapte. Sa théorie politico-économique serait Libéralisme Egocentrique et Réaliste. Ainsi tous ceux qui disent qu’il vire, change d’avis, en avant puis en arrière, ne comprenne pas notre vie d’entrepreneurs. L’adaptation au changement est une condition de survie et la clé de la réussite. Se conformer aux dogmes vous mène à la faillite. Trump est un réaliste. Vrai un jour, faux le lendemain. La plupart du temps ce n’est pas une réaction épidermique ou de l’inconsistance, c’est Darwinien. Seuls ceux qui s’adaptent survivent et il faut pouvoir pivoter à tout moment. Menacer, voir ce qui se passe, prendre ce qu’il y a à prendre, abandonner si cela ne fait pas de sens et essayer autre chose. Tous ceux qui étudient le modèle d’Amazon, (ou Google) savent qu’ils testent en permanence, des projets et leur donnent 4 à 6 mois pour réussir. Mauvais, je jette. Bon, je garde. Trump en fait de même.
Conclusion. Est-ce que la guerre des tarifs douaniers est une hérésie catastrophique ? Je ne sais pas. Ce ne sont pas nos commentaires qui doivent en décider, mais l’avenir. Est-ce non réfléchi et purement reptilien ? Je ne pense pas. C’est très construit. Ils sont préparés, depuis un long moment, contrairement au premier mandat. Comme disait mark Twain « the past doesn’t repeat itself, it rhymes”. Cette nouvelle pratique est une rime nouvelle.
Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement et PDG-fondateur de Top Cream.
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