Quel est le point commun entre la Tour Eiffel à Paris, l’Empire State Building à New York, la tour Burj Khalifa à Dubaï – filmée dans le dernier “Mission Impossible” – et l’aéroport d’Incheon en Corée du Sud? Réponse: leurs ascenseurs, estampillés Otis, le leader mondial du secteur.
Chaque jour, 1 habitant de la planète sur 7 emprunte un ascenseur, un escalator ou un tapis roulant de la marque américaine. Mais peu d’entre eux connaissent l’homme qui dirige la filiale du conglomérat américain United Technologies – à qui l’on doit notamment les hélicoptères Sikorsky, les équipements de chauffage et de climatisation Carrier. Il s’agit de Didier Michaud-Daniel. Cela fait trois ans que ce Français originaire de l’Allier préside l’entreprise, 60.000 employés à travers le monde et 11 milliards de dollars de chiffre d’affaires, depuis son siège de Farmington, dans le Connecticut.
« Dans chaque pays, on pense que Otis est local: les Francais pensent que c’est français, les Brésiliens estiment que c’est brésilien, les Chinois assurent que c’est chinois!” se félicite Didier Michaud-Daniel, qui évoque son obsession du recrutement de managers locaux. « Nous formons des leaders que nous cherchons à garder. La moyenne de temps passé dans l’entreprise est de 25 ans. » Didier Michaud-Daniel vient lui-même de célébrer ses 30 ans de maison lors d’une fête surprise organisée par les cadres de l’entreprise à Saint Petersbourg.
Annonce dans le journal local
L’analogie entre le parcours professionnel de Didier Michaud-Daniel et la trajectoire d’un ascenseur est tentante: avant d’accéder au top, le Montluçonnais de 53 ans a appuyé sur – presque – tous les boutons pour gravir le building Otis. À 20 ans, il quitte l’Allier pour poursuivre ses études à l’Ecole Supérieure de Commerce de Poitiers. Diplômé, il répond à une petite annonce publiée dans le journal local “La Montagne”. Il est loin de se douter que cela sera le début d’une longue aventure personnelle et professionnelle. « Un grand groupe international cherchait un ingénieur commercial, je n’avais aucune idée qu’il s’agissait d’Otis ». Du service des ventes de Clermont-Ferrand à la Direction Générale Adjointe à Paris, il s’écoule vingt ans. En 2001, il traverse la Manche pour restructurer Otis Royaume-Uni et Irlande, “deux pays qui n’étaient pas au niveau et qui ont exigé un gros travail. » Il restera sept ans en Angleterre, devenant au passage le Président de la branche britannique et d’Europe centrale. « J’étais très heureux à Londres. Mais un jour, le président d’Otis Monde est venu me proposer de prendre sa place. Je n’ai pas hésité évidemment, et j’ai déménagé en Nouvelle-Angleterre, avec ma femme, mon fils et ma fille. » Il retrouve le “soccer” anglo-saxon et se familiarise avec les règles du baseball, dans une région « véritable paradis » pour les sportifs.
Mais un tout autre sport l’attend: 2008, c’est la crise et le business s’effondre. Chute de 70 % des ventes aux États-Unis. L’Europe ne va pas mieux, avec notamment un volume de vente divisé par quatre en Espagne. Didier Michaud-Daniel doit réagir vite dans un marché « extrêmement compétitif », car le suisse Schindler, le finlandais Kone – spécialiste notamment des portes automatiques – et l’allemand ThyssenKrupp cherchent aussi à sortir de la tourmente.
Rénovation des 68 ascenseurs de l’Empire State Building
Le patron d’Otis adopte alors deux stratégies: d’une part, il renforce les services dans les pays occidentaux, ce qui lui vaut de décrocher le contrat très convoité de rénovation des 68 ascenseurs de l’Empire State Building – 10 millions d’employés et de touristes à transporter chaque année; d’autre part, il renforce la présence du groupe américain dans les pays émergents. En Chine notamment. Le pays achète aujourd’hui deux tiers des ascenseurs et escalators du marché – 350.000 unités, contre 12.000 aux États-Unis -, et Otis y compte désormais cinq usines. Il investit également en Inde, au Brésil – dans la perspective de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016 -, et en Russie. « Ce sont des pays neufs, très orientés vers l’environnement. J’ai découvert par exemple l’obsession écologique du maire de Moscou, sa volonté de moderniser le parc de sa ville datant des années 70 ». Didier Michaud-Daniel y défend le GeN2, l’ascenseur “propre” – 75% d’économie d’énergie par rapport à un ascenseur classique. Plus léger donc plus rapide, et silencieux, il est équipé de courroies plates qui remplacent les câbles en acier.
Connexion francophone
Otis est aujourd’hui présent dans 200 pays, et Didier Michaud-Daniel revendique le cosmopolitisme de son entreprise, avec huit nationalités différentes au sein de son comité exécutif de 16 membres. Les francophones sont nombreux au sein du conglomérat: Louis Chênevert, le PDG de United Technologies, est québécois, tout comme Alain Bellemare, le dirigeant de la filiale Hamilton Sundstrand. Le patron de Carrier, Geraud Darnis est français… et le prédécesseur de Didier Michaud-Daniel, Ari Bousbib, est d’origine marocaine. « Il y a certainement un héritage français que l’on doit à Hubert Faure ». A la tête d’Otis Monde de 1975 à 1981, ce dernier reste une figure emblématique au sein l’entreprise. « Un homme brillant, je l’ai rencontré à Londres, il passait au bureau raconter des anecdotes. Il me parlait de l’époque où les responsables d’Otis partaient visiter les pays dont ils étaient en charge… en bateau, pendant trois mois! »
Une note nostalgique qui fait sourire Didier Michaud-Daniel, lui qui voyage autour du monde la moitié de l’année. « J’ai la chance d’aller visiter nos plus belles réalisations. Je vais aussi beaucoup sur le terrain, dans les usines et je laisse nos employés me poser toutes les questions qu’ils souhaitent ». Les interrogations sur la sécurité reviennent souvent. Avec 1,7 million d’ascenseurs à entretenir partout dans le monde, la crainte de l’accident est omniprésente. « Chaque drame est inacceptable. C’est toujours ma première réaction. La sécurité est évidemment notre priorité ». Il ne commentera pas l’accident mortel survenu en décembre dans l’immeuble Y&R de Manhattan, l’ascenseur défaillant n’étant pas de fabrication Otis.
Dans ses rares moments de détente, Didier Michaud-Daniel s’octroie une pause télévision pour regarder le Tournoi des Six Nations. En bon Auvergnat qui se respecte, cet ancien rugbyman de 1,92m ne rate pas une finale. « C’est une vraie passion alors pendant 1h30 de match, j’oublie tout! » Courte pause, car l’agenda du Boss est bien rempli: l’Europe, le Panama, le Canada et la Chine… il espère atteindre de nouvelles hauteurs, toujours en ascenseur.
Crédit photo: Derek Dudek Studio/Otis