Au printemps dernier, le conseil municipal de Chicago a interdit aux restaurateurs de vendre du foie gras. Une première pour une ville américaine. Motif ? La manière «cruelle et inhumaine» dont les oies et les canards sont nourris, ardemment combattue par les associations de défense des animaux. «C’est absurde, observe David Waltuck, le chef de Chanterelle, un restaurant de Tribeca, les abus pour la production de masse de poulets ou de bœufs sont pire.»
Depuis, neuf restaurants récalcitrants de Chicago ont reçu une lettre d’avertissement. S’ils s’obstinent, ils devront payer une amende allant de 200 à 500 dollars. Mais les autorités sanitaires de la ville ne cachent pas leur peu de zèle à traquer les hors la loi. Et le débat est loin d’être clos. Le maire a soumis une proposition pour abroger ce qu’il appelle «la loi la plus bête».
Contournement
Les restaurateurs ne se laissent pas faire et n’ont jamais acheté autant de foie gras. En août dernier, ils ont proposé le mets défendu le jour de l’entrée en vigueur de la loi. Et tous les moyens sont bons pour contourner l’interdiction qui ne vise que la vente. Dans un restaurant, à ceux qui commandent en entrée des «tartines de pain grillé» à 20 dollars, le serveur apporte deux assiettes : une avec des toasts et une avec du foie gras, offert par la maison . Même subterfuge dans un autre établissement pour ceux qui choisissent un «homard spécial». Les défenseurs de la spécialité française se mobilisent : ils ont organisé une levée de fond la semaine dernière dans un restaurant français de Chicago pour financer les démarches juridiques engagées pour faire annuler le texte.
Aux Etats-Unis, seulement trois fermes produisent du foie gras. Une d’entre elles est située en Californie, où il sera interdit dans cinq ans de «nourrir de force» les volailles. Il faudra trouver un autre mode de production. Les deux autres fermes sont installées dans l’état de New York, et sont dans la ligne de mire des associations de défense des animaux. Des projets de loi interdisant le foie gras dans le New Jersey et l’état de New York ont été déposés avant d’être rapidement retirés, face à la pression des fabricants.
«La production de foie gras est plus vulnérable que celle du bétail ou de la volaille» souligne Ariane Daguin, fondatrice de D’Artagnan, une entreprise du New Jersey qui vend du foie gras et autres spécialités françaises. L’industrie a peu de moyens financiers pour se défendre et ne représente pas un enjeu économique important. «C’est une tactique politique pour satisfaire les végétariens» explique-t-elle.
Des procès aussi sont en cours, visant le département de l’agriculture de l’état de New York qui autorise un aliment «mauvais» pour la santé, ou visant directement les producteurs. Un des motif invoqués : la souffrance provoquée par l’idée d’avoir consommé du foie gras.
«Le foie gras est par définition le résultat d’une maladie. Il ne devrait pas avoir sa place dans une société humaine» explique Paul Shapiro, de Humane Society, une des organisations qui milite pour l’interdiction du foie gras. Et à ceux qui objectent que manger du foie gras devrait être un choix personnel, il répond : «Les canards, eux n’ont pas le choix d’être gavés ou pas.»
«Faux !» rétorque Ariane Daguin. «L’analyse prouve que les canards ne sont pas malades. Et le gavage est une reproduction de la préparation des canards à la saison de migration. Ils font des réserves de graisse pour affronter l’air froid des hautes altitudes.»
A Manhattan, une campagne «No foie gras» a été lancée en novembre dernier. La semaine dernière, ses activistes ont contraint le Fairway Market de l’Upper West Side à retirer une pancarte signalant le foie gras comme un des « meilleurs plaisirs gustatifs ».
Il n’empêche, le plat a la cote dans les restaurants new-yorkais qui sont nombreux à en servir. Bar Masa, le japonais chic de Columbus Circle propose même des sushis au foie gras. Au menu de Chanterelle actuellement : timbale de queue de bœuf et foie gras à l’anis étoilé, et foie gras poché au Sauterne. Le foie gras est un des rares plats qui figure toujours sur la carte. Selon le chef, qui est opposé à toute interdiction, c’est populaire et il en sert une dizaine par semaine.