On ne peut pas faire deux profils aussi différents: Guillaume Gauthereau, 38 ans, a travaillé dix ans au sein de grands groupes internationaux (Colgate et Nestlé) et de Maisons de luxe (Louis Vuiton et Lalique dont il a dirigé la filiale américaine durant 4 ans). Christophe Garnier, le benjamin de 34 ans, s’est lui tout de suite dirigé vers les start-ups de télécommunication (Mobileway, Enpocket) avant d’en créer lui-même (Mia, mSmart). Deux chemins qui n’étaient pas fait pour se croiser. Mais quand les deux Français se sont rencontrés à New York, il y a 5 ans, ils ont eu envie de créer une entreprise ensemble. « J’ai quitté la direction de Lalique Amérique du Nord en 2008 lors de son rachat (par le groupe suisse Art & Fragrance). C’était le bon moment pour moi de sortir des grosses sociétés » explique Guillaume. Restait à trouver une idée qu’un ami leur suggère depuis la France: la vente privée online pour mamans, bébés et enfants.
Le potentiel est là: «la petite enfance est un marché de $65 milliards aux États-Unis, hors couches et nourriture, et 400.000 bébés naissent chaque mois, un nombre en croissance de 3% par an», précise Christophe. Côté vente privée, c’est moins évident. Il y a deux ans, le déstockage par e-commerce n’en était qu’à ses balbutiements aux États-Unis, alors qu’il avait démarré début 2000 en France avec le site vente-privée.com, le leader du secteur aujourd’hui. Gilt.com, lancé à New York fin 2007, était destiné à la femme uniquement. «Il n’y avait pas d’équivalent du magicmaman.com français», explique Guillaume. Il n’existait qu’un site sur ce créneau des petits, theminisocial.com, que venaient de créer deux mères de Los Angeles. «Elles ont fait un super travail», reconnaît Christophe, «mais leur marché était et reste très local». De février à juin 2009, les deux amis planchent sur le business plan avec un premier financement de $650.000. En septembre, ils se rendent à Las Vegas pour l’ABC Kids Expo (salon professionnel dédié à l’univers de l’enfant) et expliquent leur concept aux exposants. Après avoir convaincu suffisamment de marques de leur laisser écouler leurs surstocks, totsy.com est lancé le 1er octobre.
Le principe: après inscription (gratuite), les membres reçoivent un email quotidien les informant des ventes en cours et à venir. Une cinquantaine de marques sont mises en ligne chaque semaine et il y en a pour tous les goûts: du bijou Disney au tee-shirt American Apparel ou Diesel en passant par le jouet Melissa & Doug et la poussette Bugaboo. Beaucoup de marques moins connues également. Les soldes durent 2 à 3 jours et affichent des réductions de 40% à 80%. «Contrairement à ce qui se fait en France, ici on peut vendre à perte à tout moment, les fournisseurs n’ont pas le droit d’imposer un prix – ils ne peuvent qu’en conseiller un». Une fois la vente terminée, Totsy passe commande auprès du fournisseur qui envoie sa marchandise dans l’entrepôt de la start-up dans le New Jersey. Puis, sur place, le jour même de la réception, une équipe se charge d’empaqueter et d’envoyer les produits à leurs destinataires.
Une chaîne qui peut vite s’enrayer en cas de trop fort trafic. Cela est arrivé en fin d’année dernière: submergée de commandes, la jeune entreprise a connu des retards de livraison, suscitant une flambée de critiques négatives sur sa page facebook et sur des blogs de Moms mécontentes. «Nous répondons à chacune des réclamations, nous avons des personnes dédiées uniquement à cela chez Totsy» précise Guillaume. Un comité d’une quinzaine de “Mompreneurs” s’occupe du social media, sous la houlette de Diana Dornan Heather, une Américaine mère de 2 jeunes enfants surnommée la Totsy’s Chief Mom, le visage de l’entreprise. Guillaume et Christophe n’apparaissent pas sur leur site internet car, expliquent-ils, «nous préférons laisser parler les mamans, bien plus qualifiées que nous!»
Totsy.com revendique aujourd’hui un réseau de 500.000 mères (très peu de pères pour l’instant), des femmes «pas forcément citadines», âgées pour la plupart entre 25 et 35 ans et dépensant en moyenne $60 à $80 par commande. 40% d’entre-elles ont 2 enfants. «Si notre cliente est enceinte de son 1er enfant au 1er achat, on pourra la suivre pendant au moins 8 ans car 40% des femmes qui ont un enfant en ont un autre dans les 18 mois qui suivent».
Cinq millions de dollars ont été levés en novembre dernier pour faire face à un marché en plein essor. Les concurrents arrivent aussi, le plus direct étant Zulily.com, créé en janvier 2010 et basé à Seattle. «Mais Zulily est beaucoup plus axé sur l’enfant alors que nous élargissons à la famille en proposant des packages spa, Disney… et, surtout, Zulily n’est pas green», s’empressent de souligner les deux entrepreneurs. Une priorité au quotidien, selon eux. Dans leurs bureaux, peintures au mur, papiers et cartons sont recyclés et les marques “vertes” privilégiées sur le site comme Ragaboo (vêtements en fibre de bambou) ou encore Green Toys. Le petit “plus” de Totsy, sur lequel, étonnamment, les fondateurs communiquent peu: au Pérou, un arbre est planté au nom de chaque enfant de client. Une opération montée avec Tristan Lecomte, fondateur de l’entreprise Alter Eco sur le commerce équitable et de l’organisation Pure Projet sur la reforestation. «Cela nous coûte $1 par arbre, et nous avons une vraie forêt maintenant, 50.000 arbres!» se réjouissent Christophe et Guillaume. Un geste transparent pour leurs clients puisque ce n’est pas une option proposée.
Avec le recul, les deux Français considèrent qu’ils n’auraient jamais pu créer leur entreprise dans l’Hexagone. «Monter une start up est beaucoup plus facile aux États-Unis. Rien que l’accès au capital: ici, on vous reçoit. Au départ, nous avions contacté 4 à 5 fonds en France. Nous n’avons pas eu un seul retour!» Idem pour l’aspect network: «J’ai demandé à rencontrer le PDG de Ralf Lauren Enfants raconte Guillaume. Trois jours plus tard, il m’a reçu dans ses bureaux new-yorkais et, autour d’un café, m’a posé plein de questions. Rien à voir avec les marques françaises qui mettent 6 mois à vous répondre, quand elles vous répondent! » déplore-t-il. Avant d’ajouter: «les Américains voient avant tout l’opportunité qu’ils ne veulent surtout pas rater. En France, on ne voit que le risque et on a peur de le prendre». Constat sans appel de Guillaume et Christophe qui pensent déjà à agrandir leur business du côté des cadeaux pour enfants et à viser ainsi le marché des grands-parents.