Il n’est ni épidémiologiste, ni chercheur. Et pourtant, le Français Tomas Pueyo est devenu, à la faveur d’un seul article, un des auteurs les plus lus sur le sujet du coronavirus. Des journalistes américains ont même inventé un qualificatif pour lui: “coronavirus influencer”.
A l’origine de cette subite notoriété, “Coronavirus: why you must act now”, un article publié le 10 mars sur le site Medium, vu plus de 40 millions de fois et traduit dans plus de quarante langues. En s’appuyant sur de nombreuses données et comparaisons entre la Chine, la Corée, la France, l’Espagne, et les Etats de Washington et de Californie, Tomas Pueyo y prédit la nécessité impérieuse de prendre des mesures strictes de confinement et de distanciation sociale rapidement pour éviter de nombreuses morts. “Au départ, j’analysais des données sur cette épidémie et je partageais mes résultats sur Facebook, pour mes amis. Un ami parisien m’a demandé de rassembler toutes ces données dans un article sur Medium, afin de pouvoir les partager plus largement“, relate Tomas Pueyo. “L’article est devenu viral, a été repris par des journaux. Je savais que le sujet susciterait de l’intérêt, mais pas à ce point.”
Le succès est tel que Tomas Pueyo devient instantanément un expert, invité sur CNN et ailleurs pour parler de son analyse. Et affublé par exemple du surnom de “Nostradamus du coronavirus” par un journal espagnol.
Aider à faire les bons choix
Ancien élève de Centrale Paris, titulaire d’un MBA de Stanford, Tomas Pueyo est vice-président en charge de la croissance d’une plateforme d’enseignement en ligne, Course Hero, au sud de San Francisco. Il s’est appuyé sur sa formation d’ingénieur pour analyser des données sur l’épidémie et son expérience de consultant qui lui permet de s’immerger très vite dans un sujet aussi pointu que le Covid-19: “Je ne suis pas du tout spécialiste en épidémiologie, mais je me passionne pour les sujets complexes: je les étudie à fond, pour pouvoir les expliquer aux autres. Et quand on voit 40 millions de vues sur un article, on se dit qu’on peut vraiment contribuer à la conversation autour du Covid, et aider la communauté, les entreprises, les gouvernements à faire les bons choix.” Sa démarche est aussi motivée par le manque de réactivité qu’il constate début mars: “J’étais inquiet qu’on ne réagisse pas, alors qu’il semblait évident qu’on allait devoir se confiner comme en Chine. Après ce premier article, je pense que beaucoup de gens ont compris la nécessité de prendre rapidement des décisions fortes.”
Le 19 mars, Tomas Pueyo publie “The Hammer and the Dance” (NDLR: traduit en français ici) qui développe l’idée qu’il faut frapper fort pour endiguer l’épidémie (la période de confinement, “le marteau”), puis apprendre à vivre avec des nouvelles normes lorsque ces mesures sont levées (“la danse”), en attendant qu’un vaccin soit disponible. La métaphore a séduit plus d’un analyste ou éditorialiste et est devenue la référence obligée de tous ceux qui se risquent à prédire ce que seront les prochains mois.
Né à Nantes, et ayant passé une grande partie de sa vie en Espagne, le Franco-Espagnol observe bien évidemment la gestion de la crise en Europe, et déplore que certaines mesures ne soient pas prises au moment où le confinement commence à être levé: “Il est très important de rouvrir l’économie, car le marteau coûte très cher, et il faut le limiter dans le temps. Néanmoins, on peut utiliser ce temps pour identifier les mesures nécessaires pour l’après, ce que j’appelle la danse. Les pays occidentaux ont trop tardé, et n’ont pas fait ce qu’il fallait: les masques devraient être obligatoires, or en France et en Espagne, ils ne le sont pas. Il faut aussi pouvoir remonter les contacts des personnes infectées. Si on n’est pas prêt à danser, l’épidémie risque de reprendre dans certains pays.”
Tomas Pueyo se montre toutefois confiant quant à l’issue prochaine de cette crise, notamment grâce aux connaissances amassées sur le virus, qui permettraient d’endiguer rapidement une reprise de l’épidémie. Elles guideront également les modalités pour relaxer le confinement, qu’il a détaillé dans ses derniers articles publiés sur Medium: “On en sait maintenant beaucoup sur le virus. La plupart des infections se passent dans des endroits fermés où se côtoient un grand nombre de personnes. Dans la rue, il est très improbable d’attraper le Covid, donc on peut ouvrir les plages ou les parcs, mais les masques devront être obligatoires et le nombre de personnes limité.“