Avec son chapeau en feutre, ses mèches poivre et sel et son pendant d’oreille, il cultive une allure juvénile et un petit côté rebelle. Thierry Lefort nous a donné rendez-vous à Burbank, au nord de Los Angeles, au pied de l’immense fresque qu’il a achevée ici il y a un an. À la demande de la ville, le peintre français a reproduit sur un mur l’une de ses huiles sur toile, repérée sur Instagram, en format XXL. Au croisement d’East Orange Grove et de San Fernando Boulevard, c’est l’âme du lieu qu’il a su capturer.
La ligne imposante des collines, une large avenue bordée de palmiers dont les ombres fines éclaboussent les murs, des couleurs éclatantes… On croirait sentir la chaleur d’un été à Burbank. « J’ai mis un mois et demi à réaliser ce mur. Je peignais sur le trottoir de 7h du matin à 14h tous les jours. C’était une belle expérience » raconte le peintre autour d’un café de chez Starbucks, dégusté sur un banc.
De Los Angeles -où il vit la moitié de l’année- à Paris, cette œuvre lui vaut un nouvel élan de notoriété. Elle plaît tant qu’on lui a proposé d’autres projets. Elle a même tapé dans l’œil du célèbre street-artist américain Shepard Fairey. « Lors d’un vernissage, il m’a dit que ce que j’avais fait, c’était du fine art sur un mur. “Tu as peut-être lancé un nouveau truc” m’a-t-il dit. Et pourtant, il s’y connaît en murs, il en a peint partout autour du globe », s’étonne encore le Français.
En termes de talent, Thierry Lefort n’a pourtant rien à envier à Shepard Fairey. À 56 ans, au fil d’une vie consacrée à la peinture, sa sensibilité unique a trouvé son public. On peut découvrir ses toiles sur son site Internet ou son compte Instagram. Des paysages urbains croqués « sur le motif », des couleurs vibrantes et ces ombres mystérieuses qui font ressortir la lumière… Aujourd’hui, ses œuvres sont remarquées dans le cercle feutré des collectionneurs d’art français.
Une rue, des poteaux électriques, des voitures… « Mon travail est de sublimer des lieux pas forcément agréables à l’œil. J’aime trouver la beauté là où on ne la voit pas tout de suite » explique l’artiste au regard transparent. Ses quartiers préférés à Los Angeles ? Eco Park ou Hollywood, « avec ses routes qui montent et serpentent. » Si sa peinture peut paraître simple, c’est en réalité le fruit d’un long travail de composition pour « apporter une vision simplifiée, agréable des choses, sans complication. »
Sa vocation est née à l’âge de 12 ans, à Paris. Lui qui « n’était pas fait pour l’école » perfectionne sa technique une dizaine d’années auprès de Philippe Lejeune, le « maître de l’école d’Etampes.» En 2016, il veut « couper avec le microcosme parisien » et part tenter l’aventure en Californie. Grâce à Maud Bonanni, une actrice et modèle, il écume les ateliers de Los Angeles. C’est le déclic. « LA est une ville qui fourmille d’artistes et d’idées, apprécie-t-il. Les gens vont plus loin, sont plus excentriques. Les côtoyer me force à sortir de mon cadre.»
Mais c’est sa rencontre avec Yoyo Maeght, petite-fille du grand marchand d’art Aimé Maeght, il y a deux ans, qui le fait changer de dimension. La commissaire d’expositions repère chez lui quelque chose de rare. « Dans les compositions de Thierry, au même titre qu’un tableau de Kandinsky, on ne peut rien enlever, ni rien ajouter. Il enlève beaucoup de choses dans l’image et ne garde que l’essentiel » s’enthousiasme-t-elle.
C’est le début d’une collaboration intense entre eux. Yoyo Maeght expose ses tableaux dans son showroom de Montrouge aux côtés d’œuvres de Giacometti, Léger ou Kandinsky ; elle lui ouvre son réseau ; organise des expositions qui font salle comble… « Thierry Lefort plait car il arrive à représenter de notre époque non pas une photographie, mais un ressenti », analyse-t-elle.
Elle se dit impressionnée par sa personnalité hors du commun : « C’est quelqu’un de très posé, calme et déterminé, qui a une très grande certitude de ce qu’il doit faire. Il me fait penser à Miró, que j’ai bien connu (ndlr Joan Miró 1893-1983). C’est la même structure mentale, la même détermination, la même humilité par rapport à son travail.»
Thierry Lefort s’apprête à peindre tout l’été à Los Angeles, en vue d’un grand vernissage qui devrait avoir lieu ici en novembre. « Ça m’oblige à avoir un regard un petit peu nouveau sur cette ville. Même si le thème reste le même, le trait progresse, la vision change et c’est toujours intéressant pour moi de rester sur un même sujet et de voir comment on peut rentrer encore plus profondément dans l’intimité des formes et des couleurs » explique-t-il dans une vidéo postée sur Instagram, où il présente une série de croquis de LA au feutre saisissants.
Le défi de cette première grosse expo sur le sol américain n’en reste pas moins énorme. Comment tenir la pression ? « Entre 1997 et 2001, j’ai vécu au temple de Shaolin, considéré comme le berceau des arts martiaux, en Chine, où j’ai expérimenté des techniques intérieures “secrètes” et de la méditation, répond le peintre. J’en ai gardé une paix intérieure qui m’aide à être centré sur moi. »
Yoyo Maeght en est persuadée, cet admirateur de Cézanne a tout pour tutoyer les plus grands : « ll faut juste du temps, qu’un grand critique d’art écrive sur lui dans un magazine influent et que la reconnaissance vienne de l’étranger. » Une reconnaissance qui pourrait bien venir de Californie.