Pointé du doigt comme la terre des sans domicile fixe, de la drogue et de la criminalité à San Francisco, Tenderloin est le quartier qu’évitent soigneusement les touristes de passage. À tort ? Fréquentable, à condition de rester vigilant, Tenderloin, avec ses 35 000 résidents, fait aussi valoir sa riche histoire aux esprits les plus curieux. La preuve en 25 adresses où absolument mettre les pieds.
Point de départ incontournable, le Tenderloin Museum, logé dans l’ancien Cadillac Hotel, raconte toute l’histoire d’un quartier les plus diverses de la ville. Une exploration en photographies sur les premiers développements de Tenderloin comme quartier de tripots et de speakeasy, son influence dans le monde du jazz – Miles Davis et John Coltrane jouaient au Black Hawk dans les années 70 – la libération des communautés homosexuelles et transgenres, et son cosmopolitisme en partie lié aux vagues d’immigrations post guerre du Vietnam (qui donnera son nom au quartier adjacent de Little Saigon), permet de mieux comprendre l’intérêt du quartier. Pour aller plus loin, le musée organise des parcours à travers Tenderloin toute l’année.
Un coup d’œil aux nombreux hôtels du quartier rappelle les origines de Tenderloin où dès la fin du XIXe siècle, théâtres, bars à musique, bordels, hôtels et SRO (« single room occupancy hotel ») – d’anciens hôtels convertis en chambres de résidence pour cols bleus, artistes, militaires et gens de la marine – occupaient le terrain. Parmi les hôtels les plus regardés, l’actuel Proper Hotel, logé dans un bâtiment à l’architecture Beaux-Arts de 1904, et à la forme en fer à repasser. Un passage dans son lobby, à son bar Charmaine’s et sa terrasse, l’ensemble décoré par la star de la décoration d’intérieur Kelly Wearstler, donne une autre vision de l’environnement du quartier.
Lieu de cultures, Tenderloin concentre aussi quelques librairies culte. L’Argonaut Book Shop, dont il est fait référence dans le film Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock, existe depuis 1941. Une adresse spécialiste de l’histoire de la Californie, et qui compte dans ses collections livres rares et spécimens du XVe au XIXe siècle (sur rendez-vous). Sur Post Street, ne pas manquer Kayo Books, logé dans un ancien dispensaire de cannabis ayant pris feu, et complètement rénové. La maison compile des comics de collection, des romans à l’eau de rose, d’autres de détectives, de femmes fatales et quelques revues érotiques vintage.
Quartier historique des artistes, Tenderloin compte aussi son lot de galeries d’art. Institution de San Francisco, Modernism ouvrait en 1979 à South of Market et fut la première à exposer Andy Warhol. Depuis 2017, elle loge à Tenderloin et présente la crème des artistes de l’art moderne et contemporain, Jacques Villeglé, Judy Dater ou Mel Ramos parmi eux. Sur Market Street, ouvrait l’année dernière la première galerie du curateur Jonathan Carver Moore dont les expositions mettent en avant artistes femmes, queer, noirs et issus des minorités non visibles, avec une attention générale portée à l’art du portrait. Ouverte y a quelques mois seulement en lieu et place de la librairie The Magazine, la Bob Mizer Foundation organise ses expositions à la gloire du photographe, et de son anthologie Physical Picturial.
Tenderloin mérite aussi le coup d’œil pour son art urbain. Sur Turk Street, l’œuvre décennale signée de l’artiste Marcel Pardo Ariza, inaugurée début mars, rend hommage aux bars et clubs des communautés gay et trans de Tenderloin, premières à se soulever au début des années 60, contre les harcèlements policiers. Au croisement entre Van Ness Avenue et Geary Boulevard, voir aussi l’œuvre de l’artiste cubain Jorge Pardo qui inaugurait en 2022 une sculpture de treize piliers hauts de 6,5 mètres pour les plus grands, surplombés de sphères en fibre de verre s’illuminant à la tombée de la nuit. Autre point d’accroche, le 455 Eddy Street où voir la fresque murale signée de l’artiste Erlin Geffrard, « Pesca Pesca Redouble la Force », réalisée en clin d’œil à l’histoire de ses parents d’origine haïtienne et immigrés aux Etats-Unis.
Avec l’immigration sud-asiatique de la fin des années 70, Tenderloin compte quelques adresses de cuisine qui valent le détour. Saigon Sandwich cuisine d’excellents Banh Mi sur Larkin Street, Mông Thu Café est spécialiste des noodle soups et Lers Ros excelle dans la cuisine thaïlandaise. Mais l’adresse la plus courue s’appelle Azalina’s. Un restaurant de cuisine malaise ouvert par la cheffe Azalina Eusope, avec menu dégustation à la clé. Enfin, garder une place pour le dessert en allant chercher chez Sweet Glory, une patîsserie thaï où goûter au millefeuille de crêpes coco, passion ou pandan à accompagner d’un latte matcha aux graines de tapioca.
Territoire des cabarets et des théâtres dès la fin du XIXe siècle, puis des speakeasy et du jazz, Tenderloin conserve sa réputation de quartier de nuit. En lieu et place d’un bar datant de 1867, clandestin pendant la période de Prohibition, le Bourbon and Branch est une référence dans la culture cocktails de San Francisco. Une bonne place dans l’espace « Library » impose une réservation à l’avance et fait découvrir les anciens tunnels secrets qu’empruntaient les clients. En plein air, le bar « Rise Over Run » du Line Hotel, reçoit orchestres de jazz et DJ sur son rooftop avec vue, le Dark Bar du rez-de-chaussée propose lui des cocktails en hommage à la culture sud-asiatique du quartier et aux procédés de fermentation. Côté jazz, il faut filer au Black Cat’s Supper Club, où s’écoutent du mercredi au dimanche les meilleurs musiciens du genre, et pour un spectacle de drag-queen, passer chez Aunt Charlie’s, une institution de la communauté gay et de leurs amis.
Traditionnellement occupé par les théâtres et les salles de cinéma, Tenderloin a vu résister quelques enseignes. Si le plus ancien d’entre eux, le Larkin, fondé en 1914, rebaptisé Century puis New Century, s’est aujourd’hui transformé en strip-club, le Golden Gate Theatre, construit au début des années 1920, et remis en beauté en 2018, accueille aujourd’hui spectacles et comédies musicales. Autre symbole, l’Alcazar Theater de 1927 programme aujourd’hui des spectacles populaires tel l’hommage en chansons à Elton John présenté en juin prochain. Le Great American Music Hall et le Warfield Theatre accueillent tous les artistes en concert. Grandiose enfin, le San Francisco War Memorial and Performing Arts Center ouvre depuis 1920 sa programmation à la danse, à l’opéra et à la musique classique.