Dans un monde idéal, vous vivez à New York depuis des années, votre conjoint est américain et l’argent n’est pas un problème. Et lorsque vous découvrez que votre enfant rencontre des difficultés à l’école, vous le faites évaluer et le placez dans une école spécialisée. Après quelques mois, à peine, il a fait d’énormes progrès. Ses troubles d’attention ne disparaissent pas mais les apprentissages sont plus rapides, assimilés. Votre enfant s’épanouit et rattrape son retard. Il bénéficie toujours d’aménagements spéciaux qui lui permettent d’entrer en université. Sûr de lui, il ne porte plus ses difficultés comme un secret et n’a plus peur de demander « un peu plus de temps » ou de l’aide.
Voilà le parcours typique et idéal dans l’enseignement américain de centaines d’enfants atteints de dyslexie, diagnostiqués TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou encore autistes. Mais dans beaucoup d’autres cas, la situation est plus compliquée.
Lorsqu’elle est arrivée à New York avec sa famille durant l’été 2021, Anne Bourgois savait que son garçon aurait du mal à assimiler les apprentissages scolaires, mais sans deviner précisément à quoi s’attendre. Un accident de naissance avait eu pour conséquences des difficultés motrices et intellectuelles. Mais pas de quoi, à priori, l’empêcher de suivre un cursus traditionnel. Anne et son mari l’inscrivent donc dans une école publique dual language : un jour en anglais, l’autre en français.
Les problèmes apparaissent dès les premières semaines : Léon ne veut pas apprendre l’anglais. Il se braque et se bloque, sans que ses parents soient capables de dire s’il s’agit d’un problème psychologique ou de troubles cognitifs. Les relations avec la maîtresse se tendent. Anne est perdue. Elle ne sait pas vers qui se tourner, et le quotidien de Léon vire au cauchemar.
Émeline Foster, récemment revenue à New York avec sa famille après deux années passées en France pour offrir une expérience française à ses deux enfants, se souviendra toujours de cette phrase de la maîtresse au sujet de sa fille, lui expliquant, de but en blanc « Le niveau d’intelligence de Lily ne correspond pas à ses résultats ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Sa petite fille de sept ans est brillante, incollable sur la mythologie grecque, mais souffre d’un manque de concentration. Il faudrait la tester. Lorsqu’il apprend la nouvelle, le mari d’Émeline est inquiet. En tant qu’Américain, il connaît les processus. Il sait qu’il sera long et, probablement, coûteux.
Pour Victor, autiste, l’évaluation a été faite des années auparavant, à Londres, où il vivait avec ses parents, ses deux frères et sa sœur avant le déménagement de la famille à New York. L’intégration a été plus facile.
Tout commence donc par une évaluation permettant d’identifier de quoi souffre l’enfant. L’approche obligatoire consiste à demander à l’école une evaluation for special education. Elle est gratuite et doit être délivrée par l’établissement sous 60 jours. C’est la loi. Dans le public, comme le privé. Tout le monde serait donc sur un même pied d’égalité ? Pas tout à fait.
En parallèle de ces tests gratuits, les parents peuvent également avoir recours à des évaluations payantes, autour de 5.000 dollars, réalisées par des spécialistes en clinique privée. Plus précises, à la fois dans les diagnostics et les recommandations, ces analyses permettent aux familles d’être plus exigeantes sur les soutiens qu’elles peuvent attendre des écoles.
Car, oui, privées ou publiques, les écoles sont obligées d’apporter des réponses aux besoins des enfants. C’est à l’école de s’adapter à l’élève. Pas le contraire.
Pour Lily, les résultats montrent un déficit d’attention. Elle bénéficiera d’aménagements, de plus de temps pour les examens. Pour Emeline, « on est habitué aux cas des garçons hyper actifs qui embêtent tout le monde. Une fille inattentive est plus rare. »
Pour Léon, c’est plus compliqué. Les tests sont en anglais, que l’enfant refuse d’apprendre. Et sans test, pas d’aide. Finalement, Anne rencontre une éducatrice spécialisée française, Marianne L. Verbuyt qui débloque Léon. Après six mois d’échanges, Anne obtient que l’éducatrice vienne une fois par semaine. Beaucoup de temps perdu et, à la fin de l’année, la nécessité d’un redoublement. Mais dans quelle école ?
Dans son établissement public de l’État de New York, Victor bénéficie de tout le soutien dont il a besoin. Le district est riche et les écoles publiques ont quasiment les mêmes moyens que les privées. Mais est-ce suffisant ? L’autisme de Victor est sévère et une école spécialisée ne lui serait-elle pas favorable ? Ses parents hésitent. Ils prennent différents avis.
Pour parler franc : les 70.000 dollars annuels sont-ils justifiés ? Vont-ils vraiment contribuer à aider Victor ? « Son école actuelle assure qu’elle a toutes les ressources pour subvenir aux besoins de son élève, mais il y a un biais, explique la maman de Victor, Odile Grandet, qui travaille pour l’association Life Project 4 Youth. Si une famille arrive à prouver que l’école n’est pas capable de répondre aux exigences du plan d’accompagnement personnalisé, c’est à elle – l’école – de payer les frais d’une inscription dans le privé… Les familles peuvent même intenter un procès ! ». Finalement, les parents de Victor décident de le placer dans le privé… À leur charge.
De son côté, Anne a beaucoup hésité. Inscrire Léon dans une école spécialisée aurait sans doute été le plus efficace. Mais quid de l’apprentissage du français, avec un retour probable dans un ou deux ans ? Léon suit désormais sa scolarité au Lycée Français avec un programme aménagé. « Nous aurions dû nous appuyer sur un avocat dès le début. Mais en arrivant à New York, nous n’avions aucune idée de la manière dont se passaient les choses ni aucun contact. En tant que mère d’un enfant handicapé, je pourrais y passer ma vie. Mais j’ai fait le choix de ne pas arrêter de travailler ».
Lily vient de rentrer au collège d’une école publique américaine et bénéficie toujours d’un plan d’accompagnement personnalisé. Elle s’y épanouit et ses résultats sont bons.
Victor est rentré en France avec ses parents. Alors que sa maman l’a aidé à chercher du travail à New York pendant presque deux ans, sans succès, il a reçu plusieurs propositions quelques mois après son arrivée à Paris.
Léon semble avoir trouvé un équilibre. Il raconte même à ses parents ce qu’il a fait à l’école. Pour Anne, le plus important, c’est cette phrase prononcée par le psychologue qui le suit : « Votre garçon est un enfant joyeux. L’important est qu’il ne perde pas sa joie de vivre. »